Alors que le pays est toujours dans l’impasse politique, la situation s’envenime sur le terrain entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara… Près de quatre mois après la proclamation des résultats de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire, les discussions entre les parties en conflit sont toujours dans l’impasse notamment après le rejet du haut représentant nommé par l’Union Africaine par Alassane Ouattara. Et alors que le conseil de sécurité de l’ONU doit examiner un projet de résolution visant à interdire l’utilisation d’armes lourdes à Abidjan, demandant explicitement le départ du pouvoir de Gbagbo, les pro-Ouattara ont pris dans la nuit de lundi à mardi deux villes aux mains des forces fidèles au président sortant. Philippe Hugon, directeur de recherches à l’Institut de recherches internationales et stratégiques (Iris), et auteur de Géopolitique de l’Afrique, fait le point sur la situation pour 20minutes.fr.
La prise de ces deux villes est assez significative d’un infléchissement du rapport de forces sur le plan militaire, mais il est trop tôt pour dire s’il s’agit là d’un changement radical. L’armement des Forces Nouvelles – rebaptisées forces républicaines – semble désormais renforcé grâce à la reconnaissance d’Alassane Ouattara par la communauté internationale, alors que Laurent Gbagbo, qui a des difficultés de financement, semble rencontrer des problèmes au niveau de son armée et de son armement. De plus, alors qu’il était jusqu’à présent en-dehors du champ de l’affrontement, et tentait seulement de conserver ses positions à Abidjan, Ouattara semble avoir décidé de passer à l’option de la force. Auparavant, il n’avait que la légitimité politique, désormais il a en plus la puissance de feu.
Il y a actuellement deux lieux d’affrontements: Abidjan, la capitale, et l’ouest du pays, pour le contrôle du port de San Pedro et de la zone cacaoyère. Il y a des traces de guerre civile à Abidjan, où des combats à l’arme lourde ont eu lieu, et où les Jeunes Patriotes sont très mobilisés. Il semble qu’ils procèdent à des enrôlements dans des groupes militaires, avec peut-être même des distributions d’armes. Il y a également des affrontements dans certaines villes du sud du pays, mais ils ont lieu uniquement entre forces armées, les civils ne sont pas impliqués.
Mais peut-être tout cela n’est-il qu’une manipulation de Gbagbo, qui tente de créer un climat, une psychose quant à une possible guerre civile pour faire fuir les populations du Nord et immigrées d’Abidjan. Son objectif serait la scission de fait du pays, et il pourrait alors exercer le pouvoir sur le sud, alors que Ouattara se retirerait dans le nord.
Le rejet le week-end dernier par Ouattara du haut représentant nommé par l’Union Africaine est un signe supplémentaire de l’impasse complète dans laquelle se trouve l’UA: il y a déjà eu cinq ou six médiations de l’Union Africaine, qui ont seulement permis de redire que Ouattara avait gagné, et le panel n’a rien donné. Cependant, il y a d’autres acteurs internationaux qui pourraient intervenir.
La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) par exemple, pourrait se déployer militairement via sa force armée, l’Ecomog. Le mandat de l’Onuci pourrait également être élargi, pour qu’en cas de guerre civile, elle puisse jouer son rôle de force d’interposition. Mais le vote de la résolution à l’ONU va être difficile dans le contexte actuel, où les cinq membres du Conseil de Sécurité sont déjà très divisés sur la question libyenne. Il faut au moins que l’Onuci, la Force Licorne et les autres forces empêchent un phénomène dramatique. On se souvient que lorsque l’ONU s’est retiré au Rwanda, cela a été la catastrophe.