• Marine de Guglielmo Weber

    Ancien.ne chercheur.se à l'IRIS

Les clivages autour de la dépendance au charbon et les différends avec Pékin compliquent la conclusion d’un accord pour réduire les émissions. Alors que les présidents russe et chinois ne se rendent pas au sommet, peut-on toujours espérer quelques progrès au sommet du G20 ?

Le fait que la Russie comme la Chine ne soient pas représentées par une présence présidentielle, c’est un gros problème et ça complexifie encore l’équation. Surtout quand on a d’une part une puissance avec des émissions carbones absolument stratosphériques dans le cadre d’affrontements militaires et puis de l’autre, une puissance qui, dans des perspectives de développement et de croissance économique, est devenue depuis quelques années le premier émetteur contemporain de carbone… Effectivement, il est très important que ces puissances soient assises autour de la table et prennent part aux négociations de manière active. Ça n’envoie pas le bon signal qu’elles ne soient pas présentes et je ne suis pas sûre malheureusement qu’on puisse espérer grand-chose de cette rencontre. C’est déjà extrêmement compliqué de s’accorder sur des mesures communes de prise en charge de la question climatique quand tout le monde est présent. Et puis, quand on arrive à le faire, généralement ce sont des mesures extrêmement consensuelles qui ne mènent pas à grand-chose. Aujourd’hui, on est en très mauvaise voie pour prendre en charge la question climatique à l’échelle globale et on est en voie de dépasser, avant 2030, l’objectif des 1,5°C.

Le « Global Stocktake », premier point d’étape des engagements pris par les États dans le cadre de l’accord sur le climat en 2015, a été publié ce vendredi 8 septembre. L’ONU a appelé à une sortie progressive de toutes les énergies fossiles non exploitées. Est-ce que ça semble crédible d’y arriver au sommet du G20 ?  

Absolument pas. Actuellement, si on prend les efforts qui ont été fournis jusqu’à présent par les États du G20, on est extrêmement loin des efforts requis pour remplir l’objectif qui a pourtant été adopté. C’est le signe d’États économiquement développés qui ne veulent pas prendre la charge de la question climatique, malgré une responsabilité historique qui pour la plupart est extrêmement haute. Et on voit bien que ça produit de plus en plus de ressentiments de la part d’États plus pauvres qui sont en fait les premiers vulnérables face au changement climatique. Pourtant, la plupart des États développés qui tendent à aller faire la leçon aux États fortement carbonés relocalisent leur production dans les États en développement pour mettre en place leur politique de décarbonisation. Par exemple, l’Europe fonde en grande partie sa stratégie de décarbonisation sur l’utilisation croissante de produits électriques de la Chine, qui a elle-même une énergie très carbonée. En fait, on se rend compte qu’il n’y a pas de décarbonisation.

Ces États ne souhaitent pas entrer dans une réelle logique d’atténuation des changements climatiques par une métamorphose des modes de consommation, de vie et de consommation énergétique. Au sein de la prochaine COP, on va véritablement voir les intérêts des États pétrogaziers être réaffirmés avec une montée en puissance du discours de la solution technologique. On nous parle souvent de géoingénierie de capture carbone, mais en réalité c’est une façon de reporter les politiques tangibles d’atténuation. Le mot sobriété, aujourd’hui, c’est un gros mot qui n’est pas du tout utilisé dans les sphères de négociations internationales. Aucun État ne souhaite véritablement se mouiller et entrer dans une logique de décarbonisation, c’est le dilemme du prisonnier. Le problème, c’est que dans cette dynamique-là, personne ne bouge. Cette inertie au sein des membres du G20 et cette hypocrisie à maintenir des objectifs pour lesquels on ne consent pas à faire les efforts nécessaires, c’est vraiment un problème structurel dans la prise en charge de la question climatique à l’échelle internationale.

Antonio Guterres a parlé d’une « famille mondiale dysfonctionnelle ». Est-ce qu’il faudrait repenser la gouvernance climatique internationale ? 

La gouvernance climatique, elle est intrinsèquement liée et même soumise aux intérêts économiques des États. Quand vous avez un État dont la croissance économique se fonde directement sur le maintien de la consommation et du besoin global en énergie fossile, il y a très peu de chances pour que cet État milite en faveur d’une réelle politique de décarbonisation du monde, puisque ça n’entre pas dans ses intérêts économiques. On n’est pas dans une gouvernance du climat fondée sur l’intérêt commun, celui de préserver l’habitabilité de la planète. On essaye toujours d’ajuster les questions climatiques aux intérêts économiques de chacun. En fait, c’est presque une sorte d’instrumentalisation de la question climatique pour servir des intérêts économiques et des stratégies de puissance. Je pense qu’un certain nombre d’États, et notamment ceux du G20, sont loin d’être conscients du caractère fortement destructeur des changements climatiques et de leur impact sur les activités économiques et la stabilité politique. On reste sur des logiques d’intérêt économique, de marchandisation, de négociation…

La gouvernance mondiale du climat telle qu’on la voit déployée aujourd’hui, doit être tout à fait repensée, puisqu’on est sur une gouvernance pathologique. On en est à plusieurs décennies maintenant de négociations internationales sur le climat et on n’avance pas des masses. La question de la COP est aussi un exemple vraiment éclairant, puisqu’on va avoir une présidence qui est directement liée aux intérêts pétroliers. Quelle crédibilité a une COP présidée par un président d’une compagnie pétrolière ? Quelle crédibilité a un G20 dont la plupart des États ont des politiques énergétiques complètement néfastes pour l’environnement ? En réalité, il faudrait repenser cette question de la gouvernance internationale, qui a montré toute son inefficacité en matière de climat.

 

Propos recueillis par pour RFI.