Pourquoi le conflit israélo-palestinien s’exporte-t-il avec autant de facilité et de passion en France?
Ce conflit est devenu une « passion française » à partir du moment où la cause palestinienne fut considérée comme méritant d’être soutenue par une extrême gauche qui voyait le monde par le prisme du combat des « dominés contre les dominants ». C’est ainsi qu’elle est devenue une lutte iconique. Le souci, ce n’est pas de vouloir un État palestinien, mais la méthode pour y parvenir. Estimer, de nos jours en France, que le Hamas est un mouvement « de résistance », plutôt qu’un groupuscule islamiste, est une faute grave. En faire la cause étendard de toute une gauche, tout en éludant le fait que le Hamas ne laisse aucune place aux minorités, aux homosexuels, aux femmes, aux opposants, est aberrant.
Ce glissement moral n’est-il pas relativement récent?
Tout à fait. Dans les années 70, mes amis pro-Palestine avaient une conscience politique claire, ils étaient nettement progressistes et soutenaient une solution à deux Etats, tout en étant largement en faveur des mouvements palestiniens. Aujourd’hui, dans les manifestations, certains slogans pro-palestiniens affichent carrément « De la mer Méditerranée au Jourdain ». Autrement dit, ils nient tout entier le droit d’Israël à exister, ils l’effacent.
Une telle dynamique semble même dissuader certains citoyens français de défiler contre l’antisémitisme?
Bien sûr. Certains médias ont présenté avec beaucoup trop de légèreté ce qui s’est passé le 7 octobre, tout en jouant, quelques jours plus tard, sur les émotions lorsque l’Etat d’Israël a riposté. Mais cela correspond aussi à la stratégie du Hamas, que de mettre en scène ces émotions en insistant sur la douleur des familles arabes. Dans la traduction juive, la mort est moins mise en scène, il y a davantage de pudeur. On a vite oublié, en France, qui étaient les premières victimes. Et certaines personnes redoutent de le rappeler.
Pourtant, la guerre des images a aussitôt fait rage, notamment sur les réseaux sociaux…
La politique d’Israël vis-à-vis de ces images a évolué, sans doute en réaction au degré d’horreur perpétré ce jour-là par le Hamas. C’était l’attaque la plus meurtrière sur ce sol depuis 1948, il a donc fallu montrer cette horreur. À partir du moment où l’on assistait à de véritables pogroms, où l’on a tué des enfants, des bébés, ce n’était pas une simple opération militaire à la loyale.
Comment faire redescendre la pression en France?
Il sera extrêmement difficile de revenir à la raison. Il faudrait expliquer simplement que les juifs sont des citoyens comme les autres dans les pays où ils vivent. Aussi, il n’y a pas un Israélien derrière chaque juif, tout comme il n’y a pas un islamiste derrière chaque musulman. Les prises de position de la gauche radicale française montrent que cette dernière a perdu le sens de la mesure. Dire que les marches contre l’antisémitisme prévues dimanche cautionnent la politique de l’Etat d’Israël est absolument faux. Des opposants de longue date aux politiques d’expansion de l’Etat hébreu seront présents.
On a l’impression que cette gauche vit le même aveuglement que face aux dérives du communisme ou du maoïsme…
Oui, mais paradoxalement, le Parti communiste s’est montré plus mesuré que la France insoumise depuis le 7 octobre. Je ne vois pas Fabien Roussel tweeter à longueur de journée sur ce qui se passe à Gaza, à la différence de Jean-Luc Mélenchon. Moi qui pensais que LFI puisait ses racines dans un socialisme laïque, émancipateur et égalitaire, je n’ose toutefois pas croire que cette dérive existe par antisémitisme. Mais plutôt par opportunisme, j’imagine.
La France est-elle la plus « touchée »? Qu’en est-il des autres pays?
La France n’est même pas le pays où la situation est la plus grave. On a vu les actes antisémites exploser en Allemagne, les Etats-Unis et le Canada connaissent une résurgence du phénomène. Le simple fait d’être juif est un risque. Le souci, c’est que les Palestiniens sont devenus la figure emblématique de la libération d’une minorité face à « l’homme blanc », desquels les juifs feraient partie. Mais c’est oublier leurs propres luttes. Au moins, le gouvernement français a eu une réaction claire, sans ambiguïté. Cependant, nous avons connu plus de 1.000 actes antisémites, autant en un mois que sur toute l’année 2004, qui fut la pire année de notre histoire moderne.
Propos recueillis par Félicien Cassan pour Monaco Matin.