Le 23 juin 2016, à la question posée par référendum : « le Royaume-Uni devrait-il rester un membre de l’Union européenne ou quitter l’Union européenne ? », le peuple britannique se prononçait à une majorité de 51,89 % des suffrages exprimés, en faveur du départ de l’Union. Certes, il y avait eu avant lui d’autres refus des peuples de s’engager plus avant dans le processus de mondialisation incarné pour beaucoup par le projet européen – un mélange de libéralisation économique et d’abandon d’une partie de la souveraineté exercée jusqu’à présent au niveau national – mais le vote britannique allait plus loin et manifestait le premier appel à un véritable retour en arrière. De fait, le Royaume-Uni allait expérimenter une première tentative de « démondialisation ». Finies – ou en tout cas à redéfinir en profondeur – les quatre libertés constitutives du marché intérieur européen, finies les délégations consenties du pouvoir de réglementer ou de dire le droit à Bruxelles ou à Luxembourg. Les partisans du Brexit voulaient « reprendre le contrôle » et le confier à nouveau à Westminster. Là où la mondialisation s’était évertuée à affaiblir les frontières, il fallait remettre en place des barrières entre les économies et entre les peuples.
Sept années plus tard et trois ans après la mise en œuvre effective du départ du Royaume-Uni – l’entrée en vigueur du traité de commerce et de coopération, signé le 30 décembre 2020, date du 1er janvier 2021 –, il est difficile d’écrire que le Brexit ne s’est pas passé comme l’avaient prévu ses partisans, car… ils n’avaient rien préparé, ni envisagé de véritable plan de sortie. Beaucoup à l’instar de Boris Johnson ne croyaient pas à un vote majoritaire pour la sortie de l’UE et n’avaient pas hésité à multiplier les promesses absurdes et inconséquentes : pourquoi se priver puisque rien de tout cela ne devait arriver ! La tournure prise par le Brexit est en tout cas loin des espoirs et des fantasmes de ses promoteurs et de ses électeurs.
Une première raison de cette déception est inhérente aux dynamiques référendaires dont le succès repose essentiellement sur la construction de coalitions majoritaires négatives et souvent hétéroclites. Le vote pour le Brexit agrégeait ainsi un fort courant xénophobe, anti-immigration, et des « globalistes » libertariens, partisans du « tout marché », qui faisaient mine d’oublier que l’intégration économique suppose des transferts de souveraineté pour en définir le cadre commun et des règles de concurrence équitable – le fameux « level playing field » cher aux Anglo-saxons. Dani Rodrik l’avait défini dans son trilemme de la mondialisation : « la démocratie, la souveraineté nationale et l’intégration économique mondiale sont mutuellement incompatibles. Il est possible de les combiner deux à deux mais en aucun cas, les trois ensemble simultanément et complétement ». Conjuguer intégration économique et démocratie conduisait à la voie du fédéralisme mondial, dont l’Union européenne lui paraissait à son échelle une bonne illustration.
Une deuxième raison des difficultés du Brexit a découlé des faiblesses collectives et individuelles du parti conservateur au pouvoir à Londres. Celui-ci était profondément divisé et incapable de s’accorder sur les buts et la démarche à suivre. Il a de plus pâti des défaillances individuelles de deux des quatre premiers ministres post-Brexit, Boris Johnson (juillet 2019-juillet 2022) et l’éphémère Liz Truss (septembre 2022- octobre 2022).
Enfin, il fallait tenir compte de l’ampleur de la tâche à accomplir : déconstruire une relation d’une cinquantaine d’années, de plus en plus « intégratrice » malgré les libertés et les souplesses que le Royaume-Uni avait obtenues de ses partenaires pour poursuivre l’aventure européenne. Le dossier de l’Irlande post-« accord du Vendredi saint » était de ce point de vue particulièrement sensible : pour préserver la libre circulation des biens et des personnes entre la république d’Irlande et la province britannique de l’Ulster, il fallait établir une forme de frontière au sein du Royaume-Uni lui-même, en mer d’Irlande, perspective difficile à accepter pour les nationalistes qui avaient poussé le vote « Leave ».
1. La fiction d’une frontière sans friction
Même si le Royaume-Uni avait in fine choisi un partenariat économique très en retrait par rapport à la situation pré-Brexit – le marché intérieur –, l’avant-dernière marche de la fameuse échelle Barnier, pour les partisans du Brexit, la situation finalement retenue – un accord de libre-échange sans droits de douanes ni quotas – devait permettre de mettre en place une « frontière sans friction » et donc sans impact pour un pays se proclamant haut et fort en faveur de la libéralisation des échanges.
Contrairement à la fiction d’une frontière sans friction, le libre-échange en matière de marchandises ne signifie pas un commerce « sans couture » et fluide, pouvant s’épanouir sans contrôle. « Border means border » pour reprendre en le déplaçant le slogan de la Première ministre du Brexit Theresa May en 2016 : « Brexit means Brexit ». Un premier « bloc » de recul par rapport à la situation pré-Brexit résulte du caractère lacunaire du volet services de l’ACC dans une relation commerciale de plus en plus marquée par les échanges de services : les réserves de l’UE et de ses 27 États-membres, c’est-à-dire la liberté de discriminer les entreprises britanniques par rapport à leurs concurrentes européennes, représentent plus de 250 pages de l’accord ; et celles du Royaume-Uni en sens inverse, une trentaine de pages. Elles impactent notamment les entreprises financières implantées au Royaume-Uni désormais privées du « passeport européen » qui leur permettaient de proposer leurs services au sein de l’UE. Seule subsiste désormais une relation d’équivalence temporaire pour les chambres de compensation pour lesquelles n’existaient pas d’alternatives « continentales », qui doit expirer à la fin du premier semestre 2025. Les restrictions aux mouvements de personne et les pénuries de main d’œuvre qui en résultent constituent une deuxième difficulté importante qui affecte les entreprises. Mais une autre dimension souligne la fiction du libre-échange : le rétablissement de la frontière pour les flux de marchandises avec les contrôles et formalités qui lui sont liés.
Même intelligente – objectif poursuivie des deux côtés du « Channel » –, la frontière sépare et distingue deux marchés et introduit des contraintes pour passer de l’un à l’autre. Il convient désormais de remplir des formalités administratives lors de son franchissement, de travailler avec un opérateur en douane reconnu par les autorités du partenaire et d’être en mesure de garantir que les produits proposés sur le marché du nouveau pays tiers respectent ses normes et ses règles. Les formalités administratives ou l’adaptation aux règles du partenaire, sont particulièrement nombreuses dans les secteurs sensibles en termes de sécurité et de conformité : agro-alimentaires, santé, chimie…
Le National Audit Office, équivalent britannique de la Cour des Comptes, dans un rapport de 2021 sur les conséquences du retour de la « frontière » à la suite de la fin de la période de transition, estimait que l’exportation de produits alimentaires du Royaume-Uni vers l’UE pouvait désormais passer par plus de vingt étapes différentes de contrôle et de formalité, là où il n’y en avait que deux précédemment.
La Direction générale des douanes et des droits indirects a publié en 2021 un guide de 88 pages destinées aux entreprises échangeant avec le Royaume-Uni, comprenant des liens hypertextes renvoyant à d’autres documents présentant le nouvel état de l’art du passage de la frontière franco-britannique. Le guide équivalent des douanes britanniques comporte 159 pages. L’ironie du rétablissement de la frontière est que si l’UE et ses États-membres étaient prêts dès le 1er janvier 2021, le Royaume-Uni par impréparation, en raison de sa forte dépendance vis-à-vis de l’UE dans le domaine alimentaire et du fait de sa volonté, à compter de 2022, de lutter contre l’inflation a remis cinq fois le rétablissement des contrôles pleins et entiers sur les importations alimentaires provenant de l’UE désormais programmé en trois étapes à partir de début 2024, créant ainsi une asymétrie au détriment de l’industrie agro-alimentaire britannique.
Les estimations, variables selon les secteurs et les produits échangés, mettent en évidence des surcoûts pouvant atteindre 15 à 20% pour les exportateurs britanniques, voir beaucoup plus pour les opérations B2C transitant par le commerce électronique. Côté français, le rapport de la Cour des Comptes déjà cité met en évidence une surcharge pouvant approcher les 10%. Le retour de la frontière pénalise en premier lieu les entreprises non aguerries préalablement au commerce en « pays tiers », les PME au premier chef, et certaines, côté français, ont été dissuadées de poursuivre leurs échanges avec le Royaume-Uni. Une étude de la « London School of Economics » analysant l’impact commercial du Brexit pour les entreprises britanniques arrive à des conclusions analogues. Le Brexit a réduit le nombre de « variétés » des produits échangés avec l’Union européenne, et a augmenté la valeur économique par variété échangée. Elle conclut que le nouveau régime « a détruit les relations commerciales de faible valeur », ces évolutions étant plus marquées pour les exportations que pour les importations britanniques.
Les premières « victimes » commerciales du Brexit ont donc été les petits opérateurs et les opérations de faibles montants. Le retrait de ces petits opérateurs peut n’avoir qu’un impact macro-économique limité. L’ « Office of budget responsability », dans son état des lieux de novembre 2023 souligne néanmoins que le Brexit va réduire à moyen terme l’intensité commerciale du Royaume-Uni de 15% et que déjà cette intensité a baissé de 1,7% en 2023 par rapport à 2019 alors qu’elle progressait dans le même temps de 1,9% dans les autres pays du G7. Pour les tenants pro-Brexit d’un Royaume-Uni totalement intégré dans le commerce international, la « Global Britain », il s’agit là d’un piètre résultat.
2. Une liberté réglementaire bien tempérée
Le but premier du Brexit était de permettre au Royaume-Uni de retrouver dans tous les domaines de l’action publique une souveraineté réglementaire jusqu’alors largement confiée aux instances communautaires ou partagée avec elles. Plusieurs commissions ont été appelées à faire des propositions dans cette perspective, notamment lorsque Boris Johnson alors Premier ministre en faisait un élément central de sa politique et était à la recherche de succès rapides et à forte visibilité. Une « task force on innovation, growth and regulatory reforms » lui a remis ses conclusions en juin 2021. Un rapport « How the UK is capitalising on the benefits of Brexit » a été publié fin janvier 2022. Une « unité pour les opportunités du Brexit » a même été créée au sein du Cabinet office en février 2020. Elle a obtenu un statut ministériel à part entière en février 2022, avec la nomination d’un ministre « for Brexit opportunities and Governement efficiency », en l’occurrence M. Rees-Mogg, un brexiter radical. Il s’était lancé à la recherche de 1000 mesures traduisant l’ambition d’un Brexit dur et avait lancé un appel à propositions auprès de la population britannique. Les mesures avancées étaient souvent décevantes, parfois symboliques –le retour au système de mesures impériales, les pieds, les yards, les gallons… – ou anecdotiques – revenir sur l’interdiction des places de parking pavées sur le bord des rues ou des routes. Mais le rêve libertarien de l’avènement d’un « Singapour sur Tamise » est resté dans l’ordre des illusions.
Les limites à la liberté réglementaire étaient et restent nombreuses. Tout d’abord, l’accord de coopération et de commerce prévoit des garde-fous durement discutés pendant la négociation de l’ACC. Ce sont les dispositions visant à préserver des conditions de concurrence équitable – le « level playing field » – dans la relation post-Brexit. Elles comportent des règles horizontales pour les subventions, le droit de la concurrence et la fiscalité, et de manière plus novatrice des clauses « anti-régression » en matière sociale et environnementale dans lesquelles les parties s’engagent à ne pas dégrader leur niveau de réglementation pour en tirer des avantages commerciaux.
Au-delà des dispositions de l’ACC, le corpus de règles internationales auquel adhère le Royaume-Uni limite sa marge de manœuvre : le Royaume-Uni est membre de l’OMC et se veut un bon élève multilatéral ; il fait également partie de l’OCDE (économie, fiscalité), du comité de Bâle dont les règlementations prudentielles sur la supervision bancaire s’imposent à ses membres ; de l’ONU dont de nombreux groupes élaborent les normes techniques (par exemple le World Forum for Harmonization of Vehicle Regulations dit « WP29 » pour l’industrie automobile) ainsi que des groupements internationaux privés à puissance normative comme la chambre de commerce internationale pour les modalités de paiement en matière d’échanges internationaux.
L’autonomie réglementaire du Royaume bute également sur la puissance normative de l’Union européenne dont les règles sont parfois de facto des « standards » mondiaux du fait de la taille de son marché et de son activité de production de normes, ce qu’une chercheuse américaine a appelé « l’effet Bruxelles ». Il se manifeste notamment dans les domaines de l’économie numérique (protection des données, lutte contre les discours de haine), de l’environnement ou de la protection des consommateurs. Pour un pays proche de l’UE et dont les entreprises restent très dépendantes de son marché, l’attractivité normative de l’Union est encore plus forte.
S’éloigner des standards européens expose les entreprises britanniques à l’obligation de respecter une double réglementation, pouvant conduire éventuellement à une double chaine de production, d’assemblage final ou d’emballage. Le secteur privé est donc très circonspect dans les appels volontaristes au désalignement réglementaire et a été dans l’ensemble entendu. Après plusieurs reports de la date de substitution obligatoire de la certification UKCA à la marque CE par laquelle l’entreprise affirme la conformité de son produit avec les normes environnementales, de sécurité et de santé au 31 décembre 2024, la marque CE a fini par être reconnue définitivement.
Enfin, comme l’a démontré la tragi-comédie du « mini-budget » présenté en septembre 2022 par la Première ministre Liz Truss, qui a conduit à sa démission six semaines après son entrée en fonction, la liberté de conduire une politique économique s’exerce aussi sous le contrôle des marchés, et doit satisfaire un test de crédibilité, même lorsqu’elle est menée au nom de la libération des forces du marché.
Le secteur financier reste peut-être le seul domaine où, le marché « pertinent » étant largement mondial, la City peut encore faire la norme. Londres est ici en concurrence avec les places européennes mais plus encore avec New York et les places asiatiques. La diversité de ses activités tant dans la banque que dans l’assurance, sa position de leader sur certains segments (devises, émissions d’obligations, dérivés de crédit), la force de son écosystème (comptables, services juridiques, activités de conseil) lui permettent dans une certaine mesure de peser et d’obliger ses concurrentes à se positionner par rapport à elle.
Un premier bilan trois ans après la sortie du marché unique met en évidence une divergence réglementaire limitée et souvent à l’initiative d’une Union européenne qui continue à produire de la norme sans plus se soucier de son partenaire britannique qui n’a plus voix au chapitre. Le think tank « Uk in a changing Europe » qui tient un registre trimestriel des divergences réglementaires ne relève pas à ce stade d’écarts décisifs, ni une accélération du mouvement de divergences majoritairement à l’initiative de l’UE ; les normes européennes incorporées dans le droit britannique, les « EU retained laws », plus de 4000 lois selon certaines estimations, qui devaient être automatiquement abolies fin 2023, continuent à s’appliquer, à l’exception de 600 d’entre-elles pour la plupart anecdotiques qui sont en passe d’être abandonnées, même si les ministres conservent le pouvoir de les abroger sans passage devant le parlement jusqu’en juin 2026 ; l’UE n’a engagé de démarches contentieuses qu’envers une décision britannique portant sur des obligations de contenu local dans un appel d’offres relatif à un programme d’éoliennes en mer, et a privilégié la voie de l’OMC, le Royaume-Uni abandonnant finalement son projet. Personne n’a vu le grand feu de joie (« bonfire ») qui devait consumer la réglementation d’origine européenne, promis par les partisans d’un Brexit dur, ni entendu le bruit de la machine à déchiqueter destinée aux normes européennes sur fond d’hymne à la joie, annoncé par Rishi Sunak en aout 2022 lorsqu’il était candidat à la présidence du parti conservateur.
À terme un éloignement normatif et réglementaire entre le Royaume-Uni et l’UE parait cependant inévitable. L’UE va continuer à produire des normes dans ses domaines de prédilection – environnement, numérique – et pour compléter son marché intérieur. Le Royaume-Uni va chercher à tirer parti de manière opportuniste des possibilités de faire cavalier seul lorsque ce sera dans son intérêt, notamment dans les « nouveaux » domaines où la régulation reste à établir (sciences du vivant, technologies vertes, numérique également). Tant qu’il sera aux affaires, le Premier ministre Sunak, un brexiter réaliste, n’aura pas d’état d’âme en la matière. La vigilance devra rester de mise côté européen. Mais les cordes de rappel subsisteront. La géographie est votre destinée. La Grande Bretagne est une île… européenne.
3. La tentation d’un « petty Brexit »
À défaut d’obtenir des victoires rapides en matière d’immigration, de libération d’une croissance supposée entravée par la bureaucratie européenne, et de liberté d’action retrouvée, les tenants du Brexit se sont reportés sur des mesures de faible portée, relativement « mesquines » (« petty ») affectant en priorité les échanges entre personnes (« people to people »).
Sur un plan économique, le rétablissement de la frontière a, on l’a vu, pénalisé d’abord les PME peu aguerries à l’exploration internationale, les particuliers pratiquant de manière épisodique le e-commerce, les touristes. Le Brexit s’est ensuite particulièrement acharné sur les jeunes.
Les facilités relatives aux voyages scolaires et aux séjours linguistiques ont été remises en cause (obligation de posséder un passeport, d’obtenir un visa pour des élèves non français par exemple, qui avant bénéficiaient du régime du passeport collectif qui tient lieu à la fois de passeport, de visa d’entrée et d’autorisation de retour pour les enfants qu’ils recensent).Ce nouveau contexte réglementaire a entrainé une diminution drastique des échanges scolaires et des séjours linguistiques, une série d’enquêtes conduites par la fédération professionnelle britannique pour le tourisme « Tourism Alliance » a mis en évidence un recul de 83 % des voyages linguistiques provenant de l’UE pendant l’été 2022 par rapport à l’été 2019, contre seulement -29 % pour les séjours en Irlande.
Préalablement au Brexit, les jeunes Européens pouvaient bénéficier de premières expériences britanniques dans différents cadres désormais supprimés ou fragilisés. C’est le cas des « au pair » désormais fermés aux ressortissants de l’UE, faute d’être éligibles au « Youth Mobility Scheme » : ce dispositif, ouvert à onze pays allant de l’Australie au Japon et à l’Inde, en passant par Monaco et Saint Marin, permet de séjourner pour travailler ou étudier au Royaume-Uni sous conditions et pour une durée maximale de deux ans. Il est désormais plus facile d’avoir un « au pair » originaire de Corée que de France au Royaume-Uni. Le régime français de Volontaire International en Entreprise (VIE) très sollicité avant le Brexit a été déstabilisé faute de cadre légal adapté. Les étudiants européens sont désormais alignés sur les étudiants internationaux en matière de frais de scolarité, là où précédemment ils bénéficiaient du même traitement que les nationaux britanniques. Les jeunes professionnels sont plus en difficulté pour avoir une expérience au Royaume-Uni (coût total du visa qui peut être dissuasif, niveau minimal de salaire exigé pour accéder au marché du travail britannique).
Les échanges culturels ont également été affectés par le rétablissement de la frontière. Le nouveau cadre réglementaire impose une triple contrainte pour le déplacement des artistes et de leurs accompagnateurs : les règles relatives aux mouvements de personne (visas) et à l’exercice de leurs activités (permis de travail) s’appliquent ; pour le transport de matériel, la liberté de mouvements et de cabotage est également encadrée ; enfin, les procédures douanières s’appliquent pour le matériel et les équipements qui se déplacent avec les artistes, notamment avec l’utilisation des carnets ATA pour les équipements non accompagnés et des certificats CITES lorsque des matériels contiennent des éléments provenant d’espèces protégés. L’intensité des relations culturelles en a souffert.
Devant le caractère dérisoire et pathétique à la fois de l’impact du Brexit sur les relations entre les personnes, le brexiter pragmatique Rishi Sunak a été conduit à chercher des solutions. Celles-ci sont au programme de travail résultant du 36e sommet franco-britannique tenu à Paris le 10 mars 2023, le premier en son genre depuis janvier 2018, comme des autres tentatives britanniques pour renouer des relations bilatérales avec les partenaires de l’UE, après la période de tensions lorsque Boris Johnson occupait le 10 Downing street
Conclusion
Le bilan final du Brexit dépendra naturellement des évolutions à moyen-long terme de la relation entre le Royaume-Uni et l’UE. Pour ceux qui prônent le désalignement de l’UE pour retrouver une souveraineté perdue et avec elle la confiance des classes populaires délaissées, les trois années de Brexit livrent toutefois quelques enseignements intéressants. Rétablir la frontière a forcément un cout, pas nécessairement décisif et politiquement insupportable. Après tout, c’est une question de préférences collectives. Les peuples peuvent décider d’échanger du bien-être économique contre plus d’autonomie politique. Les premières données recueillies sur les conséquences économiques du Brexit montrent que les conséquences sont significatives mais pas renversantes. Dans le secteur financier qui était particulièrement scruté, après la fin du « passeport européen », la Cour des comptes estime que « 7 000 emplois auraient été déplacés vers l’UE du fait du Brexit, chiffre modeste au regard du million de salariés du secteur financier britannique, un peu plus significatif par rapport aux 109 000 emplois financiers revendiqués par la City en mars 2022 ». Dans une étude de décembre 2022, le think tank « Center for European reform » évaluait la perte de croissance due à la sortie de l’UE à 5,5% de Pib par rapport à une situation de maintien dans l’UE dès 2022. L’« Office of budget responsability » organisme public mais indépendant du gouvernement estimait pour sa part en mars 2023 la perte de productivité à long terme de l’économie britannique à 4%. D’autres économistes sont moins alarmistes. Mais ces estimations sont largement trompeuses. Si le retrait peut paraitre limité, c’est parce que le Royaume-Uni ne s’est éloigné qu’à la marge de l’UE, comme nous l’avons montré dans cette note. L’autonomie retrouvée est largement un leurre. Le Royaume-Uni reste attaché à l’UE, pour éviter de décrocher. Il a certes quelques marges de manœuvre mais il ne peut plus peser sur le cœur des règles sur lesquelles il n’a d’autre option que de rester aligné.
Finalement le Brexit a été le plus décevant là où il était attendu par son électorat : les limitations des flux migratoires. Le Royaume-Uni a accueilli en 2022 745 000 personnes supplémentaires contre 220 000 en 2019. La différence est dans l’origine des nouveaux arrivants : les ressortissants de l’UE qui bénéficiaient préalablement en quelque sorte d’une discrimination positive ont été remplacés par des étrangers non-européens. Entre juin 2022 et juin 2023, l’immigration nette hors UE a été de 768 000 arrivants. Elle n’était que 179 000 entre juin 2018 et juin 2019.
Publié par La Grande Conversation.