Kader A. Abderrahim est chercheur à l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques), spécialiste du maghreb et de l’islam. Pour lui, il n’existe pas de menace à court terme pour le régime algérien.
L’Algérie vit une situation particulière. Après la Tunisie et l’Égypte, on s’est un peu emballés. D’une part, le régime de Bouteflika a une grande expérience de la façon de gérer les problèmes politiques. Et en face, le message de l’opposition n’était pas clair. La coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) a volé en éclat. Ses membres ont un problème de crédibilité: ils n’ont pas formulé de revendications très mobilisatrices et ils apparaissent très divisés.
Le seul parti qui a rejoint la coordination (la Coordination nationale pour le changement et la démocratie. NDLR), le RCD, est très contesté car il a appellé l’armée, en janvier 1992, à suspendre le processus électoral. Lors de la dernière manifestation le 26 février (empêchée par la police. NDLR), les opposants étaient à peine quelques centaines. Il faut également tenir compte de l’histoire du pays. L’Algérie a connu une guerre fratricide durant des années. Le traumatisme est encore très vif dans la société.
Les Algériens sont très politisés. Mais il existe une véritable atomisation de la société à travers de multiples mouvements sociaux. Il n’y a personne pour porter des revendications globales. Aucun parti politique n’est suffisament représentatif. Du coup, il est très facile pour le gouvernement de jouer sur les divisions. Dans ce contexte, il n’y a pas de menace à court terme pour le régime algérien. En revanche, on ne peut pas exclure des risques de dérapage ou de manipulation.
Il faut nuancer. Depuis quelques années les militaires sont rentrés dans leur caserne et sont en retrait de la vie politique. Il existe un rééquilibrage au profit de la police. Cela ne signifie pas qu’ils ont disparu, mais ils estiment aujourd’hui qu’ils peuvent mieux défendre leurs intérêts dans l’ombre plutôt qu’en étant au devant de la scène.
Ces mesures sont de la poudre aux yeux ! Les concessions sociales tiennent de l’homéopathie car sur le fond les choses ne bougent pas. Et les jeunes ne sont pas descendus dans la rue à cause du prix de la farine.
C’est un pas dans la bonne direction. Le problème, c’est la structuration du champ politique. Les partis politiques n’ont pas de véritable poids en Algérie. Il leur manque une tradition, une culture. Ce n’est pas leur reconnaissance juridique par le gouvernement qui va la leur apporter. Se pose aussi la question de leur accès aux médias. Pour l’instant, l’accès à la télévision et à la radio d’Etat est réservé au pouvoir. Les autres partis ne peuvent pas avoir de tribune où s’exprimer.
Les manifestations du mois de janvier en Algérie ont eu lieu au moment où la Tunisie faisait sa révolution et parvenait à déloger Ben Ali du pouvoir. Ce bouleversement a été un choc pour le régime algérien, qui n’a rien vu venir.
L’Algérie a les moyens d’acheter la paix sociale, pendant un temps. La question fondamentale est de savoir si ce régime est capable de s’ouvrir et d’entendre les revendications de la population. Des débats doivent s’ouvrir sur tous les sujets : la place de l’armée dans les institutions, le rôle du gouvernement, la fonction du parlement, en un mot il faut débattre du genre de pays que l’on veut construire.
Personne ne peut ignorer que ce qui vient de se dérouler sous nos yeux en quelques semaines provoque des bouleversements stratégiques. Quel que soit la forme qu’il prendra, les Algériens ne resteront pas à l’écart du mouvement de l’histoire.