Pourquoi nous faut-il une armée européenne ? (1/5)

À l’origine de l’action, il y a l’inspiration. Quelle est donc l’inspiration qui a poussé en novembre 2018 le président de la République française et la chancelière allemande à proclamer de concert la nécessité d’une armée européenne, puis le chef du gouvernement espagnol à les rejoindre quelques semaines plus tard ? Ont-ils tous subitement perdu la raison ? Ne s’agit-il que d’une vaine utopie, d’un leurre pour détourner l’attention des réalités du moment ou bien d’un projet certes difficile dans sa réalisation, mais nécessaire dans sa finalité ?

Comme souvent les premiers à réagir ont été les conformistes et les eurosceptiques. Jamais avares en sarcasmes, ils ont aligné les contre-vérités historiques. La plus mensongère est celle selon laquelle il ne saurait y avoir d’armée européenne en l’absence d’une nation européenne ou d’une « identité européenne ». L’histoire montre au contraire que c’est quasiment toujours l’armée et la guerre qui ont forgé les nations. Des nations qui elles-mêmes ne sont pas immuables : comme les identités, elles se construisent et évoluent dans le temps et le rapport aux autres.

La vérité est autre : l’idée d’une armée européenne fait peur. Synonyme d’autonomie, elle agace Donald Trump et une partie des Américains. Et parce qu’elle implique l’intégration, elle tétanise à l’intérieur de l’Union tous ceux qui croient pouvoir construire la défense européenne sans s’intégrer. C’est particulièrement vrai en France où nombreux sont ceux qui s’accrochent à la grande illusion d’une nation exemplaire qui pourrait s’en sortir seule, moyennant quelques coopérations ponctuelles.

À première vue pourtant, l’idée d’armée européenne est populaire. Selon l’eurobaromètre, les Européens sont en moyenne 75 % à plébisciter la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), sorte de proto-armée européenne.

En 2007, ils étaient même 79 % à vouloir que cette PSDC soit davantage « autonome » des Américains. Il est dommage que la question n’ait pas été reposée depuis alors même que le concept d’autonomie stratégique fait florès1. Pour ce qui est des Français, si l’on en croit l’un des rares sondages2, 80 % d’entre eux seraient favorables à la création d’une « armée européenne ». Il y a peut-être à cela une raison simple qui tient au fait que les mots « armée européenne » sont compréhensibles par tous les citoyens dans tous les pays, contrairement aux acronymes de la défense européenne qui forment un langage abscons intelligible des seuls initiés…

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