Livraison de chars à l’Ukraine : une nouvelle étape du soutien militaire de l’Allemagne ?

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Le gouvernement allemand a annoncé il y a quelques jours que l’Allemagne allait livrer des blindés à l’Ukraine. En quoi cela constitue-t-il une nouvelle étape ?

Berlin a indiqué vouloir fournir à l’Ukraine des blindés de combat Marder, ce à quoi le chancelier Scholz s’opposait jusqu’ici pour ne pas se lancer dans une escalade dont il a toujours dit vouloir protéger à la fois l’Allemagne et l’Occident et pour éviter de « faire cavalier seul », selon ses propres termes. L’Allemagne livrait jusqu’ici des véhicules de transport et de soutien, contre l’avis d’une partie des dirigeants allemands et de médias qui considéraient qu’il fallait aller plus loin pour assurer la victoire de l’Ukraine. Olaf Scholz a plusieurs fois rejeté publiquement la demande adressée par Kiev à Berlin de fournir des blindés de ce type, le ministre des Affaires étrangères ukrainien ayant même enjoint l’Allemagne d’être enfin à la hauteur de son statut de grande puissance et de leader en Europe. C’est donc bien un nouveau cap qui a été franchi, d’autant que parallèlement à la livraison des chars Marder, Berlin a annoncé l’envoi d’une batterie de défense antiaérienne Patriot. Ces blindés capables d’embarquer une dizaine de fantassins pour les emmener près du front sont destinés à escorter les chars sur le champ de bataille en éliminant les équipes antichars ennemies et en détruisant les blindés adverses. Si la double décision de réarmer l’Allemagne et de livrer des armes dans une région en guerre marquait déjà une rupture fondamentale dans la culture politique et diplomatique du pays, ce nouveau pas met encore davantage en lumière le chemin parcouru et l’ampleur de la mutation. Cela constitue l’un des traits importants d’une nouvelle Allemagne qui se dessine après le départ de la chancellerie d’Angela Merkel. Certes, et il ne faut pas le négliger, la société allemande reste très divisée sur le sujet puisque 46% des Allemands se prononcent pour la livraison d’armes lourdes à l’Ukraine et 44% contre.

Comment expliquer ce revirement ?

Plusieurs facteurs se sont combinés conduisant à cette décision de l’Allemagne. Il existe des raisons de politique intérieure, des critiques de plus en plus ouvertes mettant en cause la tiédeur et l’hésitation du chancelier à aider davantage l’Ukraine. Ces critiques provenaient en partie des membres de sa propre coalition, parmi les verts, dont sa propre ministre des Affaires étrangères, et les libéraux. Quant à l’opposition, la gauche extrême de Die Linke mise à part, elle reprochait régulièrement à Olaf Scholz, dans les débats au parlement fédéral et dans les médias, son manque de leadership et d’audace sur la question ukrainienne. Il existait donc un vrai risque d’isolement intérieur pour le chancelier qui ne pouvait pas non plus faire abstraction d’interventions d’intellectuels dans les médias ou à travers divers ouvrages invitant l’Allemagne à ne pas reculer elle-même devant son rôle de puissance qui implique de rompre avec une tradition de « retenue ». C’est par exemple le cas de Stefan Berlin dans un ouvrage remarqué Puissance hégémonique à contrecœur.

L’autre élément décisif est la prise de position des alliés de l’Allemagne, la France et les États-Unis, qui fait tomber la crainte de « faire cavalier seul ». En effet, la veille de l’annonce allemande, Paris a indiqué vouloir livrer des chars légers à l’Ukraine. Et surtout, ce qui est essentiel aux yeux de Berlin : l’annonce de l’Allemagne a eu lieu conjointement avec celle des États-Unis qui concernait la livraison de 50 véhicules Bradley à l’armée de Kiev.

L’Allemagne est-elle en mesure de fournir ces armes ?

Si l’on entend des descriptions justes sur l’état désastreux de l’armée fédérale, notamment en ce qui concerne l’équipement et les lourdeurs administratives, – d’où la création du fonds spécial de 100 milliards pour réarmer l’Allemagne -, il ne faut jamais oublier que l’Allemagne dispose d’une industrie de l’armement performante. Le pays est en effet un exportateur important d’armes conventionnelles, avec 5,5% des parts de marché dans le monde, derrière les États-Unis, la Russie et la France. Il existe de puissants groupes industriels comme Rheinmetall ou Hensoldt. D’ailleurs, on pourra noter que le nouveau gouvernement fédéral a validé des exportations d’armement à hauteur de 8,4 milliards d’euros, le deuxième plus haut volume après 2021 (9,4 milliards). Si l’on retire les 2,2 milliards d’euros d’armes livrées à l’Ukraine en 2022, il reste tout de même 7,2 milliards pour le reste du monde, avec une présence forte en Égypte, au Qatar ou en Arabie Saoudite.  D’ailleurs, le débat futur sur de nouvelles normes plus strictes pour les exportations d’armement en fonction du degré de respect des droits de l’homme est loin de faire l’unanimité outre-Rhin, même au sein de la coalition.