Législatives anticipées au Sénégal : quel avenir pour le « gouvernement de rupture » ?

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Ce 13 septembre, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye, a annoncé la tenue d’élections législatives anticipées le 17 novembre. Quel est l’objectif poursuivi par le président ? Comment cette annonce a-t-elle été accueillie par la population et par la classe politique sénégalaise ?

Pour comprendre la situation, il est nécessaire de revenir sur la composition de l’Assemblée nationale sous la législature précédente. Le gouvernement sortant, dirigé par Macky Sall, ne disposait que d’une courte majorité, ce qui l’a mis en difficulté. Lors de son élection en avril 2024, Bassirou Diomaye Faye a donc voulu obtenir une majorité solide, lui permettant de gouverner en  pleine latitude et de mener à bien avec certitude son projet de transformation du Sénégal. La dissolution de l’Assemblée nationale s’est par ailleurs imposée comme une option inéluctable pour remédier à la menace d’une motion de censure portée à l’encontre du nouveau gouvernement. La dissolution a été annoncée la veille de la date promise par le président pour son discours de politique générale, révélant ainsi la précipitation du calendrier. Cette décision a été diversement accueillie. Du côté de la majorité présidentielle, elle a fait consensus, tandis que l’opposition a vu dans cette démarche un revirement. Ce court-circuitage du discours de politique générale par l’annonce soudaine de la dissolution allant selon elle à l’encontre de la tradition républicaine, elle conteste donc à la fois la procédure et les justifications avancées. Enfin, les observateurs neutres estiment que cette dissolution était en quelque sorte inévitable, car tout gouvernement a besoin de se reposer sur un Parlement fort pour gouverner avec efficacité.

Dans quelle mesure ces élections anticipées contribuent-elles à une recomposition du paysage politique sénégalais ?

Il est encore un peu tôt pour le dire. Ce qui est certain, cependant, c’est que la campagne électorale va bientôt débuter. Ce qui s’est passé lors des élections présidentielles a surpris beaucoup d’observateurs : un parti, le Pastef, avec seulement dix ans d’existence, a remporté l’élection dès le premier tour (54 %), et cela alors que ses deux principaux leaders étaient en prison deux semaines avant le scrutin. C’est un fait inédit dans l’histoire politique du pays. Cela étant dit, bien que l’assise du président sortant Macky Sall soit en déclin, son clan conserve une certaine influence politique. Les forces qui le soutiennent se sont certes fragmentées, mais il reste tête de liste pour ces élections législatives, ce qui est aussi un fait remarquable. Par ailleurs, le contexte politique est d’autant plus tendu que le régime en place fait déjà face à une certaine usure : les premières contestations apparaissent, liées à la vie chère ainsi qu’aux difficultés économiques et budgétaires. Les indicateurs sont donc au rouge ou, à tout le moins, à l’orange. Cette situation pourrait engendrer une certaine défiance, notamment parmi les jeunes qui ont pourtant largement contribué à porter le Pastef au pouvoir. Il y a donc une part d’incertitude quant à la future composition de l’Assemblée nationale. Si l’on suit la dynamique observée lors de la présidentielle, il est attendu que le Pastef remporte une majorité, mais reste à savoir si cette majorité sera relative ou absolue, ce qui dépendra du comportement des électeurs sénégalais. Il n’est pas exclu non plus que plusieurs groupes soient au coude à coude, voire que l’on assiste à une cohabitation si le mécontentement est suffisamment fort. Quoi qu’il en soit, le paysage politique du Sénégal est en pleine transformation. Les contours de cette recomposition deviendront plus visibles une fois le scrutin terminé et les premières tendances connues. Un bloc majoritaire se dessine, probablement face à une opposition plus forte que par le passé. Lors de l’élection présidentielle, il s’agissait presque d’un référendum contre Macky Sall. Désormais, les enjeux se concentrent autour de la formation d’une majorité gouvernementale, ce qui pourrait changer la donne. Tous ces paramètres devront être pris en compte dans l’analyse des résultats à venir.

Quelles pourraient être les potentielles incidences de cette recomposition sur la politique nationale et étrangère du Sénégal ?

Sur le plan national, le Pastef a un projet ambitieux, qu’il défend depuis longtemps, et dont les contours ont été précisés il y a trois jours avec le programme « Horizon 2050 » pour un Sénégal souverain et prospère. Pour mener à bien ce projet sans entraves, il est crucial pour le parti de remporter les élections législatives. En effet, une majorité parlementaire leur permettrait d’éviter que l’Assemblée ne bloque des lois, et ainsi de mettre en œuvre leur programme sans opposition significative. L’enjeu principal est donc la capacité du Pastef à réaliser son projet de transformation, qui repose sur une véritable rupture avec le passé. Au cœur de cette rupture, on retrouve la notion de souveraineté. Ce concept ne se limite pas à l’intérieur du pays : il a des répercussions internationales, notamment en ce qui concerne la volonté du gouvernement de renégocier des contrats avec plusieurs partenaires occidentaux, tels que l’Union européenne ou la France, dans la lignée de ce qu’il nomme le panafricanisme de gauche. L’obtention d’une majorité forte, capable de leur donner les moyens d’agir, aurait donc des répercussions non seulement sur la politique intérieure du Sénégal, où l’on pourra rapidement observer les nouvelles orientations prises par le gouvernement, mais aussi sur la scène internationale. Le Sénégal est un pays clé dans la sous-région, avec un rôle central au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et de la
Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), ainsi qu’un pays reconnu pour ses capacités de médiation. Pour le Pastef, l’enjeu est donc double : porter son projet au niveau national, tout en renforçant la position du Sénégal sur la scène internationale.

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