Le Koweït, vers une dérive autoritaire du pouvoir

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Le Koweït était jusqu’au 10 mai 2024 le seul État de la région et du monde arabe (à l’exception du Liban) doté d’un véritable pouvoir législatif. L’opposition qui contrôle le Parlement koweïtien depuis plusieurs législatures (trois au moins) a paralysé la vie politique empêchant les réformes structurelles, économiques et les investissements nécessaires.

De ce fait, le Koweït qui était à l’avant-garde des pays du Golfe dans les années 1970, se retrouve réduit à la dimension de ses frontières étroites 18 000 km2 et de sa population de 4 millions d’habitants, et sa voix n’est plus écoutée depuis la disparition de Cheikh Sabah el Ahmad en 2020. Le défunt émir était considéré comme le sage de la région et le médiateur de tous les conflits interrégionaux.

Le 10 mai de cette année, excédé par l’intervention d’un député de la chambre Abdul Karim Al-Kandari, jugée insultante envers le pouvoir émirien et le gouvernement, Cheikh Mechaal décide de dissoudre la chambre élue six semaines auparavant. Certains articles de la Constitution ont été suspendus pour une durée ne devant pas excéder « quatre ans ». Une révision de la Constitution est prévue pendant cette période. Il y a fort à parier qu’elle n’ira pas dans un sens plus libéral.

Les députés ne sont pas les seuls à avoir fait les frais de ce durcissement. Le 15 septembre dernier, le Conseil des Universités a décidé de suspendre les élections étudiantes dans toutes les universités du pays. La raison invoquée est « la dérive observée dans les objectifs essentiels qui doivent régir l’action des syndicats ». Cette décision fait suite à la saisie par le ministère de l’Intérieur d’ordinateurs et de documents de l’Union nationale des étudiants. Des enquêtes ont été ouvertes sur des financements jugés suspects par les autorités.

Le tempérament de Cheikh Mechaal ne le pousse pas au dialogue. C’est un homme qui a fait toute sa carrière dans l’appareil de sécurité. Diplômé en 1960 de l’Académie de police de Hendon en Grande-Bretagne, il a occupé plusieurs postes dans la police, puis a pris la tête de la Garde nationale.

Ce tour de vis se manifeste de diverses façons. La lutte contre la corruption n’épargne plus les membres de la famille royale ou d’anciens ministres comme Moubarak Al-Haris, juriste de renom et ministre des Services publics qui s’est vu condamné à quatre ans de travaux forcés pour corruption.

Un cheikh de la famille royale, Cheikh Sabah Jaber Al-Moubarak, dont le père avait occupé le poste de Premier ministre, s’est vu infligé une peine de dix ans de prison dans l’affaire de la « caisse malaisienne » une vaste opération de blanchiment d’argent portant sur une somme de 4,5 milliards de dollars. Le cheikh et ses co-inculpés a été également condamné à restituer un milliard de dollars et à une amende de 500 millions de dollars.

La main lourde de l’État s’exerce également depuis quelques mois dans le domaine du retrait de la nationalité koweïtienne. Depuis mars 2024, les autorités ont retiré la nationalité koweïtienne par décret ministériel à quelques 6 300 hommes, femmes et enfants. Les raisons de cette décision résident officiellement dans le fait que ces personnes ont acquis la nationalité koweïtienne par fraude ou en fournissant de fausses indications ou de faux documents ou qu’elles ne remplissaient pas les conditions pour une extension de la nationalité au niveau familial. C’est ainsi que le dernier décret pris en ce sens a privé 1 400 femmes de la nationalité koweïtienne. Certains binationaux comme le très riche homme d’affaires sulfureux Maan Al-Sane’a (koweïto-saoudien) vient d’être privé de sa nationalité koweïtienne.

Cette nouvelle cohorte de personnes privées de leur nationalité vient se rajouter aux quelque 300 000 « bidounes » (apatrides) soit presque 10 % de la population du pays. La privation de la nationalité rend la vie impossible sur le territoire koweïtien. Les bidounes sont privés d’accès à tous les services publics (éducation, soins). Récemment, le Koweït a décidé que les documents de voyages qui leur étaient délivrés jusqu’ici ne seraient plus valables.  Un tour de vis supplémentaire leur a été infligé le 25 juillet 2024 lorsqu’il a été décidé de ne plus reconnaître les documents de voyages qui leur étaient attribués en vertu de l’article 17. Ces passeports qui se différenciaient des passeports koweïtiens par leur couleur grise permettaient aux bidounes de voyager (avec certaines restrictions comme l’obtention d’un visa pour se rendre dans les autres pays du Golfe, alors que les Koweïtiens en sont dispensés). Les nouvelles dispositions prévoient le retrait de ces documents à l’arrivée ou au départ du territoire. Injonction a été donnée aux compagnies aériennes de ne pas accepter les porteurs de tels documents à leur bord.

Cette dérive autoritaire du Koweït ne permet pas d’envisager un retour du processus démocratique normal dans un avenir proche.