Analyses
10 avril 2014
La Hongrie, symptôme de la crise européenne ?
En revanche, obtenir des électeurs qu’ils accordent, une nouvelle fois, les deux-tiers du parlement au FIDESZ était une gageure. Il est pourtant en passe de le faire, avec 133 sièges sur 199 (à un siège près), malgré un résultat national en nette baisse par rapport à 2010 (44,5% au lieu de 52,7%). La coalition de gauche, formée principalement par le parti socialiste MSzP d’Attila Mesterházy et d’Ensemble-2014 de l’ancien Premier ministre (2009-2010) Gordon Bajnai, ne récolte que 38 sièges, tandis que le parti d’extrême-droite Jobbik, qui recueille 20,5% des votes (16,7% en 2010), en obtient 23. La participation, estimée à 60%, est pour sa part en baisse de 4 points par rapport à 2010.
Si elle était confirmée (la totalité des bulletins n’a pas encore été dépouillée), cette majorité des deux-tiers au Parlement ne serait pas anodine. Selon la Constitution, elle accorde à la coalition qui en bénéficie de multiples pouvoirs : modifier la constitution et les lois cardinales, désigner ou destituer le Président, nommer les membres de la Cour constitutionnelle pour douze ans, le président de la Curia (Cour suprême de l’ordre judiciaire), le Procureur général, etc. Directement ou indirectement, le parti contrôlant les deux-tiers du Parlement nomme la quasi-totalité des dirigeants d’organismes publics, ce que le FIDESZ ne s’est pas privé de faire au cours du mandat écoulé. D’où les critiques de l’opposition et de certains observateurs qui accusent le parti de Viktor Orbán de verrouiller le système en sa faveur, pour une durée excédant largement celle de son mandat à la tête du pays.
Un premier mandat marqué par une production législative importante et parfois contestée
A l’origine de la débordante activité législative de cette « super-majorité », le premier ministre Viktor Orbán et les quelques conseillers qui l’entourent ont modifié la Hongrie durablement et en profondeur. Outre une nouvelle Constitution (entrée en vigueur le 1er janvier 2012 et modifiée à cinq reprises en moins de trois ans) et de nombreuses lois cardinales (réforme de la justice, loi sur les médias) décriées, les réformes économiques ont conduit notamment à la nationalisation des fonds de pension, à l’instauration d’un impôt sur le revenu à taux unique (16%), à l’expulsion parfois pure et simple d’entreprises étrangères de certains marchés (notamment dans l’énergie et les services)… La réduction des prix de l’énergie pour les particuliers, décision prise sans concertation avec les entreprises du secteur, a constitué la dernière touche à la politique économique « non-orthodoxe » du gouvernement Orbán. L’encadré jaune figurant sur les dernières factures d’électricité, où s’affichait le montant économisé grâce à la réduction gouvernementale, fut d’ailleurs probablement le tract le plus efficace de la campagne… Le bilan, à ce stade, donne l’impression d’une réussite : le chômage et les déficits publics sont en baisse, la croissance en hausse (prévue à 2% en 2014). Beaucoup d’observateurs pointent cependant le court-termisme de ces mesures, dont les bénéfices pourraient s’avérer fugaces et signalent que les investissements, en particulier étrangers, et la production sont en recul.
Ces réformes s’entourent d’une communication dans laquelle Viktor Orbán, ancien leader étudiant, excelle. Sur le plan interne, elles sont présentées dans le cadre d’une « guerre d’indépendance », thème qui flatte un sentiment insulaire hongrois encore répandu et largement exploité par le FIDESZ. Viktor Orbán se pose en héritier des révolutionnaires de 1848 ou de 1956 et n’hésite pas à comparer la Bruxelles européenne avec la Moscou soviétique. Le pragmatisme l’emporte néanmoins sur le discours idéologique. Il est significatif de voir que Budapest, malgré les postures antirusses de Viktor Orbán dans le passé et les discours sur l’indépendance énergétique, se soit rapprochée de la Russie, en signant notamment un contrat de plus de 10 milliards d’euros avec Rosatom pour l’extension de la centrale de Paks-2.
L’UE mal à l’aise face à la Hongrie
Durant son premier mandat, le gouvernement Orbán a été l’objet de nombreuses critiques. La Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l’Europe se sont inquiétés des réformes en cours, notamment celles touchant à l’indépendance des médias et de la justice. Des partenaires de la Hongrie, – dont la France – ont régulièrement émis des critiques envers certaines atteintes à l’Etat de droit ainsi qu’au droit à la concurrence. Viktor Orbán s’est alors fait plus conciliant, sachant reculer lorsqu’il le faut, mais restant constamment les deux pieds sur la ligne jaune, tout en usant des critiques qui lui sont adressées comme autant de preuves du bien-fondé de sa politique « d’indépendance ».
La Hongrie demeure un cas complexe à aborder pour l’UE. Comment, alors que la légitimité de l’UE est remise en cause, que son économie est atone, critiquer un gouvernement légitime, soutenu par sa population et dont les résultats économiques semblent bons (notamment en matière de déficit public –désormais à 2,2% – et de réduction de la dette) ? Ne court-on pas le risque d’accentuer encore davantage la fracture entre institutions et peuples européens ? A contrario, à l’heure où les bénéfices économiques liés à l’UE sont moins palpables, n’est-ce pas précisément le moment de défendre ce qui constitue pour l’instant le seul succès incontestable de l’UE : le partage, par tous les Etats membres, des valeurs démocratiques et le respect de l’Etat de droit ? Plus largement, comment répondre, sans l’alimenter, à la montée en puissance d’une frange de la classe politique européenne, que l’on qualifie souvent hâtivement (ou qui se qualifie elle-même adroitement) d’ « antisystème » ? Ces questions, qui portent bien au-delà du cas hongrois, seront au cœur des enjeux des élections européennes à venir.