La compétition spatiale, reflet d’une complexification stratégique ?

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Un sommet pour la paix spatiale se tient à Genève du 18 au 28 mars, avec pour objectif d’entamer des négociations sur le contrôle de la course à l’armement dans l’espace. Les États-Unis, la Chine et la Russie sont les figures dominantes qui vont influencer le débat, dans un contexte de tensions politiques et de lutte d’influence. Le point avec Philippe Steininger, conseiller militaire du président du Centre national d’études spatiales (CNES) et chercheur associé à l’IRIS.

Cette semaine démarre à Genève un sommet sur la paix dans l’espace, réunissant des experts de 25 pays pour tenter de mettre en place un accord sur la prévention de la course aux armements dans l’espace. Connaissant les tensions diplomatiques actuelles entre les États-Unis et la Chine et prenant en compte le retrait de Washington et de Moscou du traité INF, pensez-vous que ce sommet ait une chance d’aboutir à un accord solide ?

L’idée de parvenir à un accord international établissant les conditions d’une paix durable dans l’espace extra-atmosphérique n’est pas une nouveauté et a fait l’objet de nombreux travaux ces dernières années. Force est de constater cependant que les antagonismes opposant les grandes puissances n’ont pas permis jusqu’ici d’aboutir.

Aujourd’hui, le contexte semble à première vue peu favorable à des avancées concrètes alors que les États-Unis affichent sans complexe ni égards pour les autres pays, leur intention de « dominer dans l’espace » selon les propres mots de Donald Trump. Mais c’est peut-être bien cette situation qui pourrait pousser d’autres pays à rechercher des lignes de convergence pour contenir ce qui pourrait être considéré par certains comme une volonté hégémonique dans l’espace. Un deuxième facteur jouant en faveur de cette dynamique est sans doute une conscience accrue et largement partagée que les enjeux spatiaux ont désormais pris une dimension stratégique jusqu’ici inégalée. Enfin, le fait que de plus en plus de pays soient concernés par les affaires spatiales et que leur interdépendance pour le règlement de celles-ci se révèle est un troisième facteur.

Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas dans les 10 jours de négociations qui s’ouvrent d’obtenir un accord, qui semble encore inatteignable, mais plutôt d’identifier des éléments qui pourraient constituer la base d’un traité.

Les États-Unis sentent leur suprématie militaire menacée par le développement technologique de la Chine et de la Russie notamment, le 1er mars Donald Trump a d’ailleurs soumis pour approbation au Congrès son projet de « Force spatiale » afin de créer un commandement de l’armée pour l’espace. Comment jugez-vous cette initiative, est-elle justifiée stratégiquement ?

Les initiatives prises aux États-Unis dans le domaine spatial militaire peuvent être envisagées sous l’angle de leur portée stratégique et sous l’angle de leur déclinaison en termes de gouvernance. Débarrassées d’une communication savamment orchestrée qui tend à les magnifier, ces initiatives n’apportent à ce stade rien de très nouveau.

Sur le plan stratégique, le virage a en réalité été pris dans les années 2000 après que les Chinois eurent détruit un de leurs satellites et multiplié les déclarations évoquant une confrontation armée dans l’espace comme une perspective inévitable.

En matière de gouvernance, une seule évolution est à ce stade actée. Il s’agit de la création d’un 11e commandement stratégique interarmées consacré à l’espace. Or, celui-ci a déjà existé entre 1985 et 2002, ce qui nous place loin d’une avancée réellement novatrice. Un second mouvement, qui doit encore être approuvé par le Congrès, est celui de la création, au sein de l’Air Force, d’un grand service prenant à son compte les missions spatiales militaires à l’image du Marine Corps au sein de la Navy. Mais, annoncé par Donald Trump, le mouvement le plus radical consistant à créer une Space Force, sorte de 4e armée indépendante à l’égal de l’Army, de l’Air Force et de la Navy, se heurte à de fortes résistances au Congrès et pourrait ne trouver aucune forme de réalisation.

Cette relance de la compétition spatiale entre les puissances américaine, russe et chinoise s’apparente-t-elle à un retour de guerre froide ? Les tensions peuvent-elles s’aggraver ? Quelle place peuvent avoir les Européens dans cette course technologique ?

La guerre froide était la configuration simple de l’opposition frontale de deux blocs unis chacun par une idéologie forte. L’espace extra-atmosphérique est aujourd’hui le théâtre d’une scénographie bien plus complexe : les oppositions sont multiples, les enjeux sont non seulement de portée stratégique, mais aussi environnementale, économique et commerciale. Si cette scénographie est plus complexe, elle apparaît néanmoins moins dramatique que celle de la guerre froide.

L’Europe ne peut évidemment pas se détourner de la défense de ses intérêts dans l’espace. Elle en est consciente et consent des efforts dans ce sens. L’Union européenne prévoit ainsi de consacrer aux affaires spatiales 16 milliards d’euros sur la période 2021-2027, soit une hausse de plus de 30 % par rapport au budget précédent. L’idée d’autonomie stratégique européenne prend aussi corps depuis plusieurs années. La mise en service de la constellation de positionnement-navigation-temps (PNT) Galileo, qui permet de s’affranchir du GPS américain, l’illustre parfaitement, comme les efforts qui sont consentis pour maintenir une filière de lanceurs européens. Il reste que la concurrence est rude et que les moyens américains et chinois mobilisés en faveur des questions spatiales, qu’ils soient humains ou budgétaires, sont sans commune mesure avec ceux que nous observons en Europe.