Avant, pendant, après ? La guerre en Ukraine dans La Revue internationale et stratégique

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  • Marc Verzeroli

    Marc Verzeroli

    Responsable d’édition à l’IRIS, Rédacteur en chef de La Revue internationale et stratégique

 

Au fil de la dernière décennie, La Revue internationale et stratégique a fait paraître un certain nombre de contenus qui permettent d’éclairer différents aspects de la guerre déclenchée il y a deux ans par la Russie en Ukraine, de ses ramifications antérieures et de ses conséquences. En voici une sélection non exhaustive.

 

Avant la guerre

Près d’un quart de siècle après la fin de l’Union soviétique, quels étaient les principaux « défis russes » ? Autoritarisme, récit national, identité, économie, démographie, corruption, politique étrangère, etc. : un dossier dirigé par Arnaud Dubien permettait d’en saisir certains parmi les principaux, juste avant les événements de 2014 en Ukraine, dont Igor Delanoë dressait les enjeux en mer Noire. Vingt-cinq ans après la chute du mur de Berlin, La Revue internationale et stratégique a fait paraître le texte de l’ancien président de l’Union soviétique Mikhaïl Gorbatchev, qui alertait sur le « risque d’une nouvelle guerre froide ». La même année, Jean de Gliniasty, ancien ambassadeur de France en Russie,  dressait pour sa part un état des lieux des relations entre l’Occident et la Russie depuis 1989, alors que Jean-Arnault Dérens, rédacteur en chef du Courrier des Balkans, revenait sur les « guerres du droit » et le parallèle entre Kosovo et Crimée, notamment dans la rhétorique russe. Outre ces relations extérieures de la Russie, et particulièrement avec la France, Hélène Carrère d’Encausse nous parlait, en 2015 également, à l’occasion du centième numéro de la Revue, de l’identité et de la société civile russes.

Entre « émergence » et remise en cause du monopole occidental sur la puissance, Arnaud Dubien revenait ensuite sur le rattrapage économique et la résurgence de la puissance russe. Principal slogan de la politique de Vladimir Poutine, la verticale du pouvoir est l’un des meilleurs résumés du fonctionnement du système politique russe et de ses ambiguïtés, ainsi que l’expliquait Clémentine Fauconnier.

 

Le retour de la guerre

Survenant sur un continent se pensant désormais à l’abri des affrontements interétatiques, la guerre en Ukraine renouvelle la perception de la guerre comme outil des rapports de force politiques. Peut-on vaincre la guerre au XXIe siècle ? En 2013, Charles-Philippe David interrogeait la corrélation entre l’implication de la communauté internationale et les divers modes de résolution des conflits armés, et les défis qui demeurent.

Dépenses de défense, cyberarmements, désarmement nucléaire, rôle des ONG, traité sur le commerce des armes, etc. : en 2014 paraissait « Un monde surarmé ou désarmé ? », un dossier sous la direction de Jean-Pierre Maulny. Mais les interventions militaires ont-elles encore un sens dans un monde post-guerre froide ? « La force armée reste parfaitement adaptée aux guerres interétatiques, qui peuvent par ailleurs toujours survenir », écrivait là encore Jean-Pierre Maulny. Les ruptures numériques, pour leur part, ne rendent-elles pas la dissuasion obsolète ? La question était posée en 2018 par le général Denis Mercier, alors Commandant suprême allié pour la Transformation de l’OTAN, dans le cadre d’un numéro « Géopolitique et technologie ». Enfin, à l’occasion d’un dossier consacré aux défis de la décennie 2020-2030, Michel Goya s’interrogeait sur les nouvelles formes de la guerre, revenant notamment, quelque deux années avant l’invasion russe de 2022, sur les efforts déjà déployés par la Russie dans l’Est de l’Ukraine. Une offensive russe qui, deux ans plus tard, s’apparentait à une guerre pour une sphère d’influence, selon Pierre-Yves Hénin.

 

Les relations extérieures de la Russie de Vladimir Poutine

Comment alors tenter encore de comprendre la diplomatie menée par la Russie ? Comment la déploie-t-elle en toile de fond du duel Chine / États-Unis, par exemple ? Avec la France, la culture a semblé en demeurer la seule dimension permanente depuis le XVIIe siècle, pour Jean de Gliniasty, qui s’interrogeait également en 2020 sur la politique russe d’Emmanuel Macron. Avec l’Amérique latine, les relations ont paru passer d’ambitions et frustrations diplomatiques partagées au début du siècle à des circonstances moins favorables ensuite. En Afrique, enfin, « la Russie est devenue en très peu de temps un acteur majeur du jeu politique centrafricain », détaillait Nathanaël Ponticelli en 2018, questionnant le rôle de la France en République centrafricaine.

 

La réaction européenne

« L’Europe n’a pas d’autre choix que d’avoir une ambition stratégique », nous expliquait Nicole Gnesotto dès 2015, dans le cadre du centième numéro de la RIS. « Aussi insatisfaisants que puissent paraître les résultats actuels, il n’y a qu’un seul chemin souhaitable : avancer pour ne pas reculer, s’unir davantage pour être plus puissants, penser et agir géopolitiquement pour ne pas subir la puissance des autres », précisaient plus tard Édouard Simon et Maxime Lefebvre, dans un dossier interrogeant l’émergence d’une Europe géopolitique sorti en 2021. À cette occasion, nous publiions notamment un grand entretien avec Luuk van Middelaar : « Le réveil géopolitique a lieu parce que des voisins ont frappé à la porte et nous ont fait voir en face certaines réalités que l’on préférait négliger ou ignorer ». « C’est en quelque sorte la fin de l’innocence pour Bruxelles », pour Sylvie Bermann, « mais défendre l’Union contre qui et contre quoi, et pour satisfaire quelles ambitions ? », s’interrogeait Frédéric Mauro dans le même numéro. « L’autonomie stratégique serait cette nouvelle frontière du projet européen, la voie nouvelle de cette “union toujours plus étroiteˮ », pour Maxime Lefebvre et Édouard Simon. Mais finalement, « les Européens n’ont guère que commencé à digérer que leur projet de paix ne fera pas fatalement tache d’huile à l’extérieur », selon Olivier de France. Et la guerre en Ukraine de participer d’un nouveau contexte de la relation franco-allemande.

 

Une Russie sous sanctions

Depuis l’invasion de l’Ukraine, la Russie est soumise à une vague de sanctions internationales, et notamment occidentales, sans précédent. En 2015, Carole Gomez et Bastien Nivet s’interrogeaient sur la signification et l’efficacité de ces sanctions internationales. La difficile mesure de l’efficacité de cet instrument de coercition était à nouveau évoquée par Carole Gomez en 2016, dans une revue de plusieurs ouvrages portant sur le sujet. En 2022, elles ne seront en tout cas pas parvenues à prévenir l’invasion de l’Ukraine, selon Sophie Marineau.

Outre des sanctions économiques, la Russie s’est largement trouvée exclue du sport mondial. Une étude de la sportokratura à l’ère de Vladimir Poutine permet de saisir qui contrôle le sport en Russie. Avec des liens très forts entre le sport et la religion orthodoxe : « Entre ciel et sport, tsarisme et soviétisme, la Russie [a renoué] avec sa tradition religieuse bientôt millénaire et son sport de masse désormais centenaire ». Et alors qu’il est devenu un instrument de la guerre politique de Vladimir Poutine contre l’Occident, il est également utilisé par l’Ukraine, qui l’a adapté à cette nouvelle donne.

 

Un basculement des relations internationales ?

L’invasion russe a paru remettre en question grand nombre de nos cadres d’analyse. « Ceux qui font de la prospective ont beaucoup de mal à intégrer l’ensemble des paramètres qui régissent les relations internationales », nous disait Hugues de Jouvenel en 2015. Anticiper, est-ce alors possible ? « La prudence la plus élémentaire consiste à ne pas négliger les futurs anticipables en invoquant la puissance de l’imprévisible », écrivait pour sa part François de Jouvenel deux ans avant l’invasion de l’Ukraine. Dans ce même numéro, Manuel Lafont Rapnouil répondait à nos questions sur l’évolution à venir de l’ordre multilatéral.

Des comparaisons se sont également fait jour sur les conséquences énergétiques et économiques de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui seraient comparables à celles du choc pétrolier de 1973, une « date […] restée symbolique car elle pose tous les termes du débat économique de l’époque moderne, inchangés depuis quarante ans », écrivait Céline Antonin en 2013. Pour Sylvain Rossiaud, cette « guerre en Ukraine pourrait faire basculer les relations pétrolières internationales dans une ère post-globalisation ». Pour Emmanuel Hache, elle aura en tout cas clairement fait émerger la sobriété comme une question géopolitique.

Outre ses conséquences immédiates, la guerre nécessite aussi de penser l’après : comment finit-on les guerres  ? Comment répare-t-on ? Et quel rôle la justice pénale internationale peut-elle alors jouer ?

Dans l’intervalle, la guerre en cours en Ukraine constitue-t-elle la marque d’un processus de « désoccidentalisation du monde » ? Non-alignement actif en Amérique latine, multi-alignement indien, volonté des BRICS de modifier l’ordre mondial, conséquences pour l’Union européenne, figurent parmi les termes d’un dossier dirigé par Didier Billion et Christophe Ventura interrogeant cette notion de désoccidentalisation. Une cartographie des différentes réactions internationales à l’égard de l’invasion russe permet alors d’identifier des lignes de fractures déterminantes pour l’avenir du multilatéralisme. Elles font émerger des notions comme celle de « Sud global », tout comme d’autres sont remises sur le métier, comme celle de totalitarisme. Un entretien avec Jean-Marie Guéhenno  ainsi qu’un dossier consacré à trente années de ruptures stratégiques dirigé par Pascal Boniface nous aident à penser cet ordre international post-guerre froide.

 

L’espace post-soviétique, et au-delà

Cet éclatement de l’Union soviétique a laissé un espace, traditionnellement qualifié de post-soviétique, composé de nouveaux États indépendants confrontés à des transitions qui font apparaître la fragmentation de cet ensemble. La guerre en Ukraine aura ainsi produit des conséquences sur un pays comme la Moldavie, tout comme sur un espace plus large comme l’Asie centrale et ses corridors ferroviaires (ainsi que les répercussions de ses derniers sur les échange entre l’Europe et la Chine ou sur la Russie). Et ce, jusqu’à des ramifications plus inattendues, du Vatican à la Corée.