Après l’investiture d’Ashraf Ghani, quelles perspectives pour l’Afghanistan ?

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Alors qu’on arrive enfin à la conclusion de de la crise politique ayant ensuivie le second tour de l’élection présidentielle afghane, quelles conclusions peut-on tirer de cette première transition démocratique de l’histoire de l’Afghanistan ?

Il est tout d’abord fondamental de noter que le transfert du pouvoir d’un président à un autre de façon pacifique est un événement historique en Afghanistan. Il faut savoir que depuis la création du pays aucune transmission du pouvoir ne s’était faite sans recours à la violence, au meurtre, à l’assassinat ou au coup d’Etat, et ce jusque dans l’histoire récente.
La très forte participation au 1er tour de l’élection présidentielle afghane – plus de 7 millions de votants -, qui a eu lieu le 14 juin dernier, avait suscité un nouvel espoir au sein de la population et de la communauté internationale, celui que ce pays en guerre contre l’insurrection des Taliban, allait peut-être pouvoir connaître la paix grâce au dynamisme engendré par un processus démocratique auquel une large partie de la population a adhéré. Or, le second tour ne s’est pas déroulé de façon satisfaisante. Dr Abdullah Abdullah a soupçonné son adversaire d’avoir eu recours à des fraudes massives, avec la complicité de la Commission électorale et du gouvernement. Il a en conséquence rejeté le résultat que la Commission s’apprêtait à proclamer. Après d’âpres négociations sous l’égide de John Kerry, secrétaire d’Etat américain, qui s’est déplacé à trois reprises à Kaboul, un accord politique entre les deux candidats, qui revendiquait chacun la victoire, a été trouvé. Selon celui-ci, intervenu avant l’annonce définitive des scores par la Commission électorale, Ashraf Ghani sera proclamé président tandis qu’Abdullah Abdullah sera nommé chef de l’exécutif, une sorte de Premier ministre. En outre, le pouvoir, sera équitablement partagé à tous les échelons entre les deux camps dans le cadre d’un gouvernement d’union nationale.
Ainsi, cet accord politique a évité au pays une crise qui aurait pu déboucher sur un affrontement armé. Mais, la jeune, fragile et quelque part imposée par l’extérieur, démocratie afghane en est sortie perdante.

A quoi peut-on maintenant s’attendre ? Comment la répartition du pouvoir va-t-elle s’effectuer entre Ashraf Ghani et Abdullah Abdullah ? Quid des relations avec les Taliban ?
L’Afghanistan – pays en guerre depuis plus de 30 ans – n’a pas de tradition démocratique. Si un gouvernement d’union nationale a été mis en place, c’est en raison des menaces proférées par certains alliés puissants du Dr Abdullah de créer un gouvernement bis dans le cas où Ashraf Ghani était déclaré vainqueur. Plus encore, les Afghans n’ont pas l’habitude d’un gouvernement d’union nationale où le pouvoir est partagé. A cela s’ajoute les personnalités et l’expérience de ces deux têtes du gouvernement. Abdullah, ancien conseiller du commandant Ahmad Shah Massoud, est issue de la résistance antisoviétique et a participé activement à la guerre contre les Taliban. Il a eu une longue carrière de diplomate, comme ministre des Affaires étrangère de la Résistance d’abord et au sein du premier gouvernement de Hamid Karzaï ensuite, avant de prendre la tête de l’opposition à ce dernier. Ashraf Ghani est de son côté le pur produit de la diaspora. Il a vécu et travaillé à l’étranger, notamment comme fonctionnaire de la Banque mondiale. Il n’est rentré en Afghanistan qu’après la chute des Taliban, d’abord comme conseiller de la délégation de l’ONU, ensuite comme ministre des Finances d’Hamid Karzaï. Il est ainsi considéré comme le prolongement du gouvernent de Karzaï. Il est également de la même ethnie que lui (pachtoune) et est accusé d’être trop favorable aux Taliban.
Les deux parties vont maintenant devoir discuter du partage des postes ministériels, des gouverneurs, des juges, etc., selon un partage équitable entre les deux candidats. Celui-ci est attendu avec impatience par les Afghans.
Quant aux relations avec les Taliban, c’est effectivement l’un des points délicats à gérer entre le président et son Premier ministre. Tous deux sont favorables à la négociation mais Ghani est réputé plus enclin à faire des concessions envers les Talibans. C’est d’ailleurs l’un des points sur lequel il a été attaqué au cours de la campagne électorale, étant donné qu’il était favorable à la libération de certains prisonniers taliban. Abdullah est de son côté plus exigeant et ne semble pas disposé à des concessions majeures. Cependant, alors que le président a tendu la main aux Talibans dès son investiture, ces derniers ont répondu à son offre par des attentats suicides à Kaboul. Les Taliban restent donc campés sur leur position : aucune négociation avec le gouvernement ne sera possible tant que des soldats étrangers se trouveront sur le sol afghan, et considérant n’avoir aucun intérêt à négocier avec un gouvernement qu’ils pensent faible et divisé.

Quelles seront les conséquences de l’accord de sécurité qui vient d’être signé entre l’Afghanistan et les Etats-Unis ?

La signature de cet accord était très attendue. Les deux candidats étaient favorables à sa signature. Cet accord a été préparé sous la présidence d’Hamid Karzaï qui y était à l’origine favorable avant de se raviser, ouvrant ainsi une période de vives tensions avec les Etats-Unis et laissant à son successeur la lourde tâche d’approuver ce traité bilatéral de sécurité avec les Etats-Unis.
Cet accord permet aux Américains de maintenir sur une base légale environ 10.000 hommes – en sus des quelques 2000 de l’OTAN – sur le sol afghan, répartis sur une dizaine de bases, après 2014, date de fin du mandat originel des forces de l’OTAN dans le pays. Washington voulait en effet veiller à ne pas réitérer l’erreur commise en Irak, d’où ils s’étaient rapidement retirés et dont on mesure pleinement les conséquences aujourd’hui. Les forces, qui resteront sur place ne seront pas constituées d’unités combattantes mais auront pour mission de former et soutenir les forces armées afghanes. Cet accord est cependant limité dans le temps, les Américains prévoyant de réduire de moitié leur présence d’ici la fin de l’année 2015, avec l’objectif d’avoir rapatrié l’ensemble de leurs troupes d’ici la fin 2016. A la signature de cet accord étaient conditionnées les aides économiques et militaires des Etats-Unis à l’Afghanistan.
Une grande interrogation à laquelle personne ne peut répondre émerge alors : est-ce que l’Afghanistan aura d’ici là réussi à vaincre militairement les Taliban et à assurer la sécurité sur son territoire ?