Élection de Donald Trump : quelles conséquences sur la politique étrangère et les droits des femmes aux États-Unis ?

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  • Marie-Cécile Naves

    Marie-Cécile Naves

    Directrice de recherche à l’IRIS, directrice de l’Observatoire Genre et géopolitique

Comment interpréter les résultats de l’élection présidentielle états-unienne et la diversification de l’électorat républicain ? 

Il faudra du temps pour analyser et bien comprendre ce scrutin car la sociologie électorale sera longue à établir, d’autant qu’elle diffère selon les États fédérés. On peut dire tout de même que Donald Trump n’élargit pas son électorat, mais qu’il le diversifie en gagnant des électeurs (voire des électrices) latinos et qu’il séduit les jeunes hommes, en particulier non diplômés de l’enseignement supérieur. Kamala Harris obtient, elle, une majorité d’électrices, et de personnes diplômées, mais fait plusieurs millions de voix de moins que Joe Biden en 2020. Si plusieurs variables explicatives émergent d’ores et déjà, on ne peut pas les réduire à un seul paramètre (l’économie, l’inflation, l’immigration, etc.). Ces éléments ont joué, bien sûr, mais ne suffisent pas à expliquer ce résultat. La situation est d’autant plus complexe que l’enjeu n’est pas seulement national. Partout dans le monde, les « hommes forts », au penchant pour la brutalité politique et verbale, la nostalgie d’un passé fantasmé, la promesse d’un capitalisme débridé et le besoin de revanche gagnent les élections ou aspirent le pouvoir.

La campagne de terrain de Kamala Harris a été impressionnante, a limité les dégâts dans les États-clés, mais n’a pas réussi l’agrégation de l’ensemble des forces progressistes que Joe Biden avait construite en 2020. L’écologie a été absente. L’engagement dans des guerres lointaines est un logiciel dépassé, impopulaire. Le soutien inconditionnel à Israël et les massacres à Gaza ont fait perdre des voix dans le Michigan, sans doute. Aux États-Unis comme ailleurs, les responsables politiques en place pendant la Covid-19 ont aussi payé cher le prix de cette pandémie, ce traumatisme planétaire aux effets psychologiques probablement sous-estimés. Joe Biden et Kamala Harris, malgré les plans de relance et la baisse du chômage, n’ont pas pu se défaire d’une impopularité persistante.

Mais il ne s’agit pas seulement de cela. La peur du déclin du pays, la difficulté à se projeter, les dangers réels ou imaginaires : tout était orthogonal à l’histoire racontée par Kamala Harris, celle d’un optimisme abstrait. Sans doute aussi est-ce inenvisageable, pour une partie de l’Amérique, d’élire une femme. Un autre élément est qu’en 2020, Trump était le sortant, tandis qu’en 2024, il était l’outsider. Il a été perçu comme hors du système alors qu’il baigne dedans.  « Make America Great Again » prospère sur le terrain de l’apocalypse et son projet oscille, non sans contradictions, entre libertés sans limites (de parole, d’entreprise) et autoritarisme (sur la circulation des personnes, l’accès à la santé, le droit à disposer de son corps, etc.). La violence verbale et le fait de jouer des coudes deviennent un signe de respectabilité. L’insulte et la méchanceté sont la norme. Le lien social, la responsabilité, l’attention à l’autre sont des marques de faiblesse, des signes d’inefficacité, dans une société perçue comme de plus en plus menaçante, et dans un monde lui-même vu comme hostile vis-à-vis des États-Unis. La frontière entre le réel et le divertissement s’efface. Le modèle économique du buzz et du clash des réseaux sociaux, et une couverture médiatique fascinée par Trump, fournissent une chambre d’écho redoutable aux campagnes massives de désinformation (que les démocrates ont sous-estimées ou n’ont pas su appréhender).

Quelles seront les conséquences de l’élection de Donald Trump sur la politique étrangère états-unienne ? 

À l’échelle mondiale globale, les États-Unis exerceront leur pouvoir différemment avec Donald Trump : ils ne voudront plus être un modèle de multilatéralisme, mais apparaître comme une superpuissance qui fait peur et adopte une politique étrangère transactionnelle. Et ce, alors que la place des États-Unis est de plus en plus contestée (BRICS+, etc.). Un changement par rapport à 2016 : les grands patrons qui ont financé la campagne de Donald Trump vont prendre les postes dans l’administration. Y aura-t-il des dirigeants de Space X au Pentagone ? Des milliardaires comme Scott Bessent (patron de fonds spéculatifs) au ministère du Trésor (lequel joue un rôle dans l’imposition de sanctions contre la Russie) ?

Il faut être clair : la promesse de désengager l’armée américaine ou le soutien militaire américain dans plusieurs régions du monde n’est pas synonyme de paix dans le monde. En Europe, le sort de l’Ukraine est très incertain. Pour Donald Trump, l’OTAN n’est pas une instance de solidarité face aux conflits mais une organisation qui permet à ses membres de bénéficier de la protection américaine à moindre coût. J.D. Vance menace déjà les Européens d’un désengagement de l’OTAN s’ils décident de réguler X ou surtaxer les voitures Tesla.

L’Europe sera-t-elle capable de s’entendre sur les plans militaire comme commercial ? Rien n’est moins sûr. D’une part, Donald Trump compte des alliés en Europe, d’autre part, il n’existe pas de politique étrangère européenne, ni de défense européenne, ou encore d’Europe de l’armement. Le premier mandat de Donald Trump est un précédent raté d’unité européenne.

En matière commerciale, serons-nous solidaires si Donald Trump décide de surtaxer les voitures allemandes ? Comment riposterons-nous à des droits de douane de de 10 à 20 % ? Nous n’avons pas réussi à nous entendre face au protectionnisme de Joe Biden, qu’en sera-t-il demain ?

Et comment peser dans la compétition stratégique entre les États-Unis et la Chine ? La Chine va considérer l’Europe comme un marché de repli si les États-Unis surtaxent les produits chinois, et elle ne va pas seulement réorienter ses exportations. Elle pourrait également réduire ses importations. Le déficit commercial européen pourrait donc s’aggraver avec Pékin. Et Donald Trump va demander aux Européens qu’ils condamnent les politiques de surproduction chinoises (« donnant-donnant »).

Quelles seront les répercussions de ces élections générales sur les droits des femmes aux États-Unis ? 

Le fait que Kamala Harris ait misé sur le droit à l’avortement a limité les dégâts dans sa campagne, et les référendums sur le sujet ont très majoritairement confirmé ce droit au niveau local. Les conséquences d’une présidence Trump II seront catastrophiques pour les femmes parce que l’écosystème Trump est dans une dynamique de revanche sur #MeToo et le Women’s Marches et parce qu’il ne s’agit pas seulement, par antiféminisme, de revenir sur les acquis en termes d’égalité, mais de promouvoir une politique profondément misogyne. J.D. Vance, le futur vice-président, estime que les femmes qui n’ont pas d’enfant sont inutiles, et qu’il faudrait les taxer davantage. Dans le logiciel MAGA, le droit à l’avortement conditionne l’autonomie des femmes : il faut donc le supprimer. On peut s’attendre à des lois fédérales restrictives en la matière ou au déterrage de la loi Comstock, du XIXe siècle, qui reviendrait à interdire l’avortement au niveau national. La procréation médicalement assistée (PMA), la contraception sont aussi menacées, et la crise sanitaire provoquée par l’arrêt Dobbs de la Cour suprême de 2022 ne pourra que s’aggraver. La lutte contre les discriminations, contre les études de genre à l’université, la persécution des féministes : on peut s’attendre à tout.