Notes / Humanitaire et développement
17 mars 2014
De la disparition du corporatisme ?
Les Organisations de Solidarité Internationale (OSI), plus couramment nommées Organisations Non Gouvernementales (ONG), ont été soumises à des mutations organisationnelles profondes et souvent paradoxales depuis ces quinze dernières années.
L’envergure et la recrudescence des crises civiles, des catastrophes naturelles, leur médiatisation quasi instantanée, leur complexification quant à l’orchestration de leur réponse, ont mis les OSI sur des chemins fonctionnels multiples et compliqués. Les OSI ont dû croitre, diversifier leurs compétences, et furent donc soumises à des nécessités de cadrage et de pratiques internes très importantes.
Concomitamment, les bailleurs de fonds institutionnels ont structuré puis renforcé continuellement les règles de fonctionnement des fonds qu’ils allouent aux opérateurs, exerçant d’autant une pression croissante en termes de gestion contractuelle vers les OSI. La grande majorité de ces associations fortement dépendante de ces fonds a alors dû structurer les services supports aux opérations en regard à ces impératifs et exigences.
Ces deux axes de pression, opérationnelle et contractuelle, ont contraint les OSI à recruter des profils, dans un premiers temps plus divers issus de filières traditionnelles de la gestion comptable et financière par exemple, puis issus de nouvelles filières « professionnelles » créées de façon ad-hoc.
Ainsi, l’engagement et/ou le militantisme ne sont plus nécessairement des critères observés aujourd’hui dans le recrutement des membres des OSI, faisant disparaître peu à peu le corporatisme. Inversement, les candidatures se font auprès de ces dernières comme si elles étaient interchangeables. En effet, la solidarité internationale se professionnalisant et s’homogénéisant, on passe d’un humanitaire « politique » et très médical, à un humanitaire plus « technique » et salarié avec des organisations moins militantes mais plus gestionnaires. Ces dernières s’uniformisent via la codification et l’homogénéisation de leurs pratiques, de leur valeurs, de leur charte, et donc, entre autres, de leurs recrutements. De plus, les terrains d’intervention sont souvent communs ce qui place les OSI en situation de concurrence face aux mêmes viviers de candidats.
Parallèlement à tout ceci, on peut noter un engouement pour les métiers de l’humanitaire de la part des étudiants qui s’orientent en masse dans le domaine de la solidarité internationale, désormais vue comme une vocation professionnelle à part entière. De nombreuses formations universitaires dédiées à l’humanitaire ont ainsi émergé mais ne correspondent pas forcément aux attentes des propres acteurs de la solidarité internationale comme nous le verrons dans ce document.
La concurrence devient rude, les places sont chères et précaires et la motivation et l’engagement à eux seuls ne suffisent plus. Certains diront que l’humanitaire a été victime de son propre succès.
Jean S. Renouf, reprenant le constat fait par Roni Brauman que « nombre d’acteurs humanitaires et d’observateurs d’aujourd’hui » se reconnaissent dans la « description de l’humanitaire d’hier » se dit frappé « de voir aujourd’hui le nombre d’humanitaires faisant référence, souvent de manière nostalgique, à la « glorieuse » époque de l’humanitaire d’hier. Cet imaginaire ne constitue pas nécessairement une restitution historique, mais est plutôt caractéristique d’un exécutoire des frustrations d’aujourd’hui : distance par rapport aux populations ; rédaction infinies de rapports pour des bailleurs – et sièges d’ONG – situés loin des réalités du terrain ; professionnalisation bienvenue mais se faisant au prix de l’ « âme » humanitaire ; difficultés de recrutement et de fidélisation ; manipulation politico-militaro-commerciale de l’action humanitaire ; etc, le tout alimentant un certain nombrilisme humanitaire ».
La professionnalisation et la bureaucratisation de l’humanitaire signifient-elles pour autant la fin du militantisme et de l’engagement ? La professionnalisation est une logique imposée par les bailleurs mais les OSI ne fonctionnent-elles que sur un modèle managérial ? Quelles sont alors les recommandations ?