Afghanistan : vers la paix ou vers une nouvelle guerre ?

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Les Américains et les talibans sont parvenus à un accord de paix, dont la signature est prévue pour fin février, après un an et demi de négociations directes.  Un cessez-le-feu est intervenu dans la nuit de vendredi à samedi derniers (soit une diminution des violences selon les termes de l’accord). Mais le chemin reste plein d’embûches et rien ne permet de penser que la paix est pour demain. Les risques d’un conflit fratricide apparaissent dans le camp anti-talibans.

Le 7 septembre 2018, un tweet de Donald Trump annonçait la fin des négociations avec les talibans. Le monde apprenait à cette occasion avec stupéfaction qu’une réunion solennelle avait été prévue deux jours plus tard entre le président américain et une délégation de talibans à Camp David, afin de signer un accord de paix négocié pendant plus d’un an pour mettre fin à 18 ans de guerre en Afghanistan. L’initiative présidentielle, restée secrète, avait ému l’opinion publique. Au-delà de l’aspect symbolique de la décision de Donald Trump, l’accord avantageait les talibans suscitant l’opposition ouverte de personnalités politiques de tous bords et des généraux. Pourtant proche du président américain, le sénateur républicain Lindsey Graham avait notamment déclaré : « Si nous partons et que nous sous-traitons notre sécurité nationale aux talibans en pensant qu’ils s’occuperont d’Al-Qaïda et de Daech, ce sera un désastre ». La mort d’un soldat américain quelques jours auparavant à Kaboul, au cours d’un attentat revendiqué par les talibans – un événement relativement mineur vu les 20 soldats américains tués pendant que les négociations se poursuivaient à Doha – avait fourni la justification pour annuler la cérémonie.

Les principaux points de l’accord de paix

Même non publiés, plusieurs points de l’accord sont connus, axés sur quatre chapitres : le retrait progressif des soldats américains, le cessez-le-feu, l’engagement des talibans pour lutter contre le terrorisme et le dialogue interafghan. Les concessions américaines sont impressionnantes, les talibans ayant obtenu que le gouvernement de Kaboul ne soit pas associé aux négociations. Comble de l’humiliation, ils ont refusé non seulement de dialoguer avec lui, mais ils ont discuté avec une délégation non gouvernementale afghane d’abord à Moscou, puis à Tachkent et à Doha.

Le retrait des soldats américains d’Afghanistan a été la principale revendication des talibans. Sortir du bourbier afghan et des « guerres inutiles » a été également une promesse électorale de Donald Trump avant que la dure réalité géopolitique ne le ramène à la réalité. Cependant, une guerre longue, coûteuse, dont la victoire militaire est de plus en plus incertaine pour les États-Unis d’une part, et l’impossibilité pour les talibans de chasser les Américains et renverser le régime de Kaboul d’autre part, ont rapproché les deux ennemis. Les talibans ont refusé un cessez-le-feu avant le « dialogue interafghan « , mais ils ont accepté « sept jours de baisse de la violence », avant la signature de l’accord, mesure considérée par les Américains comme une preuve de la volonté des talibans de vouloir parvenir à la paix. Le cessez-le-feu sera pour plus tard et dépendra de l’accord interafghan.  Depuis deux jours, même s’il y a eu des attaques contre les positions gouvernementales, les talibans n’ont pas lancé d’opérations militaires contre les villes et contre les soldats américains ni mené d’opérations suicides, ce qui est considéré comme positif par Scott Miller, commandant en chef de l’OTAN en Afghanistan.  À partir du 29 février, les États-Unis devraient donc commencer à retirer 5 400 de ses 13 000 soldats stationnés en Afghanistan, sur une période de 135 jours. Le retrait total devrait être ensuite réalisé progressivement sur trois ans.

Néanmoins, Donald Trump a annoncé à plusieurs reprises qu’un nombre limité des soldats américains resterait dans ce pays pour des missions de renseignement dans le cadre de lutte antiterroriste. Des personnes ayant eu accès au texte de l’accord affirment que les États-Unis et les talibans se seraient engagés dans une annexe de l’accord de paix à créer un centre de coordination pour échanger des renseignements afin de lutter contre le terrorisme. Si cette disposition est appliquée, les talibans, considérés comme des terroristes encore récemment, deviendraient « un allié contre le terrorisme » pour les Américains.

Le « dialogue interafghan » ou l’abandon des Afghans ?

Pressé d’obtenir un accord qui lui permettrait de « ramener les boys à la maison » avant l’élection présidentielle de novembre prochain, Donald Trump a fait une autre concession très préoccupante pour la société afghane, pouvant déboucher sur la restauration de « l’émirat islamique » des talibans, ou du moins sur un pouvoir islamiste autoritaire. En effet, les États-Unis ont accepté de ne pas discuter de l’avenir politique de l’Afghanistan et de ses institutions lors des pourparlers de paix, laissant les Afghans en discuter eux-mêmes une fois l’accord signé.

Ce point inquiète beaucoup la société civile afghane. Depuis 18 ans en effet, toute une génération d’hommes et de femmes est née en Afghanistan et s’est attachée à la liberté d’opinion, la liberté de presse, l’éducation et le travail des femmes… Or, laisser ces questions aux talibans, en position de force, signifie pour certains Afghans l’abandon de l’Afghanistan aux talibans et tout ce que cela implique. Proclamer que les talibans sont de « bons combattants », en faire les futurs alliés contre le terrorisme et abandonner la défense des droits de l’homme et ceux des femmes en particulier, va à l’encontre de ce qui a pu justifier une intervention militaire en Afghanistan et plus de 18 ans de guerre…

Un État, trois gouvernements

Les interrogations sur le contenu de l’accord de paix et son application sur le terrain sont à peine évoquées qu’une autre difficulté, et non des moindres, obscurcit l’horizon de la paix. Quelle autorité pourra discuter avec les talibans pour une solution politique dans le cadre du « dialogue interafghan » ? L’Afghanistan aura-t-il demain un gouvernement légal et légitime ? Le 29 septembre 2019, une élection présidentielle fut enfin organisée pour élire un président de la République après cinq ans d’un gouvernement « d’union nationale » installé en septembre 2014 par John Kerry, l’ancien secrétaire d’État américain, partagé entre les deux prétendants, Ashraf Ghani et Abdullah Abdullah, qui avaient tous deux revendiqué la victoire. Mais ce scrutin fut un désastre. Dans un pays de 36 millions d’habitants, seulement six millions d’électeurs s’étaient inscrits sur les listes électorales et moins de deux millions d’entre eux avaient voté pour l’un des dix-huit candidats. À l’image de l’élection présidentielle de 2014 et des élections législatives de 2018, la fraude fut massive. La commission électorale était divisée, les candidats menaçaient de ne pas reconnaître la validité du scrutin.

Après une réunion entre Ashraf Ghani, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo et le secrétaire d’État à la Défense, Mark Esper, à Munich en marge de la conférence sur la sécurité le 15 février dernier, le candidat afghan est rentré à Kaboul avec semble-t-il le feu vert des Américains pour un résultat en sa faveur.

La commission électorale afghane a ainsi annoncé mardi 18 février son élection comme le nouveau président de l’Afghanistan avec 50,64 % des voix (soit moins d’un million de votants). Son principal adversaire Abdullah Abdullah, ainsi que d’autres candidats, ont dénoncé « un coup d’État électoral » et Abdullah ayant immédiatement annoncé sa volonté de former un « gouvernement large et représentatif » et de désigner une délégation pour négocier avec les talibans. Les talibans ont également dénoncé l’élection de Ashraf Ghani comme illégitime et contraire à l’esprit de l’accord de paix, tandis que d’anciens chefs de guerre et tous les partis des moudjahidines ont apporté leur soutien au « gouvernement élargi » qu’Abdullah Abdullah mettra en place.

L’Afghanistan, après 40 ans de guerre, n’est pas donc pas proche de connaître la paix…

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