Éditos de Pascal Boniface
19 février 2014
3 Questions à François-Bernard Huygue
Le philosophe (au sens de Platon conseillant Denys de Sicile) est sensé exprimer la sagesse et désigner des buts conformes au Bien Commun à un souverain qui l’admire. Le conseiller du Prince (au sens de Machiavel) aide le chef à parvenir à ses fins politiques en lui suggérant des ruses, des mesures habiles, des discours convaincants ou en légitimant son action. Quant à l’intellectuel (au sens qu’a pris le mot après l’affaire Dreyfus), il s’efforce de peser sur les affaires publiques au nom d’une réputation de profondeur qu’il a acquise par ses écrits ou par son art (souvent dans un domaine complètement différent de celui sur lequel il donne son opinion par exemple un philosophe se prononçant sur la politique pénale ou l’innocence d’un accusé) et souvent cette opinion est critique, contestataire, "indignée" et détachée de considérations de moyens. Ou du moins l’était, car il me semble que l’on baptise désormais intellectuels un grand nombre de gens qui s’appuient plus sur une réputation médiatique que sur une œuvre et qui sont globalement satisfaits du monde tel qu’il est dirigé par les élites. Le think tank devrait idéalement combiner expertise de ses membres, prise de distance par rapport aux intérêts politiques et aux excitations médiatiques, capacité théorique, réseaux et sens de la communication. J’ai dit : idéalement…
Parmi les raisons de la réticence française à créer de vrais think tanks indépendants :
Le poids de l’État qui est peu enclin à demander de l’expertise extérieure ou qui préfère commander des rapports à d’anciens hauts fonctionnaires (Un "think tanker" du Hudson Institute de Washington, bon connaisseur de notre pays, m’avait dit un jour "En France, vous n’avez pas besoin de think tanks, puisque vous avez l’ENA, où l’on sait tout".
Un système de financement différent de celui des pays anglo-saxons (or, penser coûte de l’argent, du moins si l’on veut une certaine continuité de la production).
Des institutions concurrentes du think tanks lorsqu’il s’agit de produire des idées nouvelles. Je pense en particulier à l’importance des revues d’idées chez nous.
La prolifération de clubs politiques, attachés à un courant d’un parti voire à une personnalité politique, et qui fournissent plutôt des arguments ou des programmes conformes à leur idéologie que de l’expertise indépendante. Je n’ai absolument rien contre ces clubs ou leur engagement et suis enchanté que nos politiciens soient en quête d’idées nouvelles ou d’éclairages de la "société civile" ; simplement, beaucoup de clubs se présentent comme des think tanks et cela crée un peu de confusion, quand il s’agit en réalité de soutiens d’un candidat aux primaires.
Par ailleurs, il existe des think tanks qui sont plutôt des lobbies en quête d’alibis intellectuels et, comme par hasard, leurs études concluent dans le sens que souhaitent leurs financiers sur des questions comme le réchauffement climatique ou le type de matériel militaire souhaitable.
Pour savoir si un think tank est objectif et où il se situe entre idéologie et intérêts (la première pouvant être le masque des seconds), je recommande de vérifier de quelles valeurs ou projets il se réclame explicitement de voir dans quel sens tendent systématiquement ses conclusions de vérifier d’où viennent leurs fonds (publics, privés, gagnés par leurs propres travaux..) Ceux qui passent ce triple test méritent votre attention bienveillante.